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— Eh bien, dit M. Pons en se raclant la gorge, je me<br />
promenais donc sur le chemin de ronde, juste sous les fenêtres<br />
de mon appartement de Porto Ferraio. En bas, vous le savez, il y<br />
a un poste de garde, et les soldats bavardent, et les voix<br />
montent. Un caporal marseillais parlait de notre retour en<br />
France.<br />
— Écoutez bien, Campbell, dit l’Empereur en riant. Vous<br />
pourrez le rapporter à Londres !<br />
— Oh, sire…<br />
— Ne jouez pas les mijaurées, colonel. Continuez, Pons.<br />
— Le caporal expliquait aux autres, qui l’encourageaient avec<br />
ferveur : « Nous partons pour Malte sur notre flottille, là, nous<br />
empruntons des galères, nous débarquons à l’embouchure du<br />
Danube. Constantinople ferme les yeux. Après, les Grecs nous<br />
rejoignent, nous entrons à Belgrade, les Hongrois arrivent et<br />
grossissent nos rangs, puis les Polonais, nous prenons Vienne,<br />
et ensuite, c’est facile, la route de Vienne à Paris on la connaît<br />
par cœur ! »<br />
— Mes soldats ont de l’imagination, n’est-ce pas ? dit<br />
l’Empereur en regagnant sa place à côté de sa mère.<br />
— Nos hommes ont du lyrisme, reconnaît Cambronne qui<br />
laisse mal passer son enthousiasme, avec sa mine de croquemort.<br />
— Ils s’ennuient, ajoute Drouot en découpant une cuisse de<br />
lapin froid.<br />
— Ah ! reprend l’Empereur. On me reproche d’avoir<br />
abandonné la patrie. On a peut-être raison…<br />
L’Inconstant jeta l’ancre dans la rade. C’était un deux-mâts<br />
aux voiles carrées, peint en jaune et gris, que les alliés avaient<br />
accordé au proscrit pour constituer l’essentiel de sa marine. Il<br />
avait dix-huit canons mais servait au transport ; il allait à Gênes<br />
ou à Civitavecchia, y embarquait du bétail, des arbres, des<br />
visiteurs et des messagers. Octave était sur le môle et regardait<br />
les premières chaloupes quitter le navire, quand le signor Forli,<br />
le jovial marchand d’huile d’olive, le prit par les épaules :<br />
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