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Octave ouvrit une lettre qui provenait de Verdun. La mère<br />
d’un soldat de la garnison y répondait à son fils. Au bout de<br />
quelques lignes, Octave se mit à rire doucement.<br />
— Quelle sottise avez-vous découverte, monsieur Sénécal,<br />
qui vous distrait autant ?<br />
— Des nouvelles de France, sire, bien peu académiques, mais<br />
qui devraient vous plaire…<br />
— Je vous écoute.<br />
— C’est une brave paysanne, Sire. Elle écrit au sergent<br />
Paradis, son fils. Je vous la déchiffre :<br />
Je t’aimons ben plus, depuis que je te savons auprès de not’fidèle<br />
empereur. C’est comme ça que les honnêtes gens font. Je te<br />
croyons bien qu’on vient des quatre coins de la ville pour lire ta<br />
lettre, et qu’un chacun disions que t’es un homme d’honneur. Les<br />
Bourbons ne sont pas au bout et nous n’aimons pas ces messieurs.<br />
Le Marmont a été tué en duel par un des nôtres, et la France l’a<br />
divorcé. Je n’avons rien à t’apprendre, sinon que je prions Dieu et<br />
que je faisons prier ta sœur pour l’Empereur et Roi…<br />
L’Empereur demanda à entendre trois fois cette lettre mais il<br />
n’en riait pas, il était ému. Après un silence, il dit à Octave :<br />
— Voyez avec Cambronne, qu’il donne dix pièces d’or à ce<br />
soldat.<br />
— Pour quel motif, sire ?<br />
— Cette lettre, bon Dieu !<br />
— Vous n’êtes pas censé l’avoir lue…<br />
— Oui. Attendons que le soldat la lise à ses camarades pour<br />
leur donner un parfum du pays, les autres en parleront, nous<br />
feindrons d’en découvrir la teneur et nous pourrons le<br />
récompenser de façon naturelle…<br />
Deux fois par an, à l’île d’Elbe, la pêche au thon donnait<br />
l’occasion d’une fête, et M. Seno, ordonnance, restait le<br />
propriétaire d’une importante madrague. Il avait convié<br />
l’Empereur et la plupart des sommités de Porto Ferraio à<br />
participer à sa pêche d’automne. Dès les premières lueurs du<br />
jour, une multitude de barques parcourait la rade en tous sens<br />
et dans un apparent désordre, mais les hommes, en tapant l’eau<br />
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