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L’Empereur sécha ses larmes de rire d’un revers de manche<br />
et regarda vers la haute mer. Trois frégates mouillaient au large.<br />
— Bertrand ! Votre lunette.<br />
Le comte donna sa lunette d’approche.<br />
— Ce sont des navires français. Appelez Cambronne, Drouot,<br />
M. Poggi et M. Sénécal. Qu’ils soient aux Mulini dans une heure.<br />
À cause des trois navires de guerre français, qui croisaient<br />
autour de l’île, l’Empereur doubla les garnisons des fortins et les<br />
mit en alerte : des guetteurs se relayaient jour et nuit pour<br />
braquer leurs lunettes sur les intrus. En une matinée, des<br />
grenadiers changés en démolisseurs s’employèrent à abattre les<br />
masures collées aux remparts, quand elles obstruaient des<br />
créneaux et gênaient les batteries ; les canonniers s’exerçaient<br />
sans relâche, ils tiraient à boulets rouges dans la mer. Habillé en<br />
matelot, sur une embarcation supposée transporter du sel dans<br />
les îlots voisins, Octave s’approcha des navires pour les<br />
observer. Il n’apprit pas grand-chose de l’officier de quart, avec<br />
lequel il eut un bref échange, sinon que les Français devaient<br />
naviguer jusqu’en Italie et qu’ils assuraient la sûreté du<br />
commerce en Méditerranée ; ils parlèrent des pirates éventuels.<br />
Pour la troisième nuit, Octave patrouillait avec des<br />
gendarmes sur les côtes les plus accidentées. Il visitait les<br />
cabanes abandonnées au bout des caps, interrogeait les<br />
habitants du bord de mer, s’assurait qu’aucun clandestin n’avait<br />
débarqué sur les plages désertes ni dans les criques. Et puis,<br />
comme la lune apparut, toute ronde et lumineuse, entre deux<br />
nuages noirs et pressés, l’un des gendarmes prit le bras<br />
d’Octave ; il lui montra un triangle de toile blanche qui avançait<br />
sur les eaux. C’était un bateau de pêche, de tonnage moyen, qui<br />
semblait venir de Gênes et s’approchait du rivage. Les nuages<br />
cachèrent à nouveau la lune mais le gendarme avait l’œil exercé<br />
des vieux braconniers : il en avait pris, des lapins, dans ces<br />
parages, et il voyait la nuit aussi bien que les chats. Octave et<br />
son équipe ne disaient plus un mot, ils ne bougeaient pas, tapis<br />
derrière des buissons de romarin.<br />
Un canot se détache et dépose sur le rivage un homme de<br />
haute taille, tête nue, qui porte un sac sur l’épaule. Les rameurs<br />
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