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qu’il devient fou, mais dès qu’il regagne le cercle restreint de ses<br />
proches, aux Mulini, il est grave et souvent irritable.<br />
Sans détours et en termes clairs, Octave relate les accès de<br />
fureur dont il a été le témoin, quand, par exemple, apprenant<br />
que le roi de France vient d’accorder à Masséna des lettres de<br />
naturalisation, parce qu’il était né à Nice en terre italienne,<br />
l’Empereur s’emporte : « Ces gens ont perdu la tête ! La bataille<br />
de Zurich et la défense de Gênes n’avaient donc pas naturalisé le<br />
prince d’Essling ! » La vie de l’Empereur se rétrécit, écrit<br />
Octave, et comme les menaces d’assassinat se multiplient il ne<br />
sort plus guère des Mulini, où il vit enfermé ; son humeur<br />
tourne à l’aigre sur les plus petits sujets. Et Octave mentionne<br />
une colère sans proportions à propos de la princesse Pauline.<br />
Croyant bien agir, elle avait demandé au libraire de Sa Majesté,<br />
à Livourne, de modifier des reliures pour embellir sa<br />
bibliothèque, pensait-elle, mais elle pensait de travers et cela<br />
déplut tellement à Napoléon qu’il appela les soldats de garde et<br />
fit lacérer à la baïonnette, devant lui, une trentaine de livres de<br />
géographie et de médecine.<br />
Ce climat alourdi n’empêchait pas les bals et les réceptions,<br />
qui devaient donner à l’extérieur l’image d’une royauté sereine<br />
et joyeuse. C’était à Bertrand de préparer les fêtes, et surtout<br />
d’évaluer leur coût, que l’Empereur devait approuver. Il venait<br />
avec son grand livre de comptes et des factures dans le cabinet<br />
de travail, pour une signature d’approbation. Napoléon<br />
regardait dans le détail, biffait certaines dépenses, en corrigeait<br />
d’autres.<br />
— La soirée de dimanche, sire…<br />
— Ne doit pas coûter plus de mille francs.<br />
— Rien que les rafraîchissements prévus…<br />
— Supprimez la glace.<br />
— Le buffet…<br />
— Pas avant minuit, dans la salle des fêtes. Les invités n’ont<br />
pas à grignoter nos provisions toute une soirée !<br />
— Si Votre Majesté veut regarder la liste des invités…<br />
— Vicentini ? Non, dit l’Empereur en parcourant cette liste<br />
du regard. Il en profite trop, celui-là, il se goinfre et nous coûte<br />
cher pour rien.<br />
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