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nationaux armés de piques. « Lâchez-moi ! » glapissait l’un des<br />
bourgeois saisi au col par une main brutale ; il se trémoussait,<br />
agitait ses bras trop courts sans parvenir à atteindre le gaillard<br />
en uniforme qui le tenait. Octave reconnut l’un des conjurés du<br />
Comité royaliste, et il demeura à l’écart, caché par les dos et les<br />
épaules de la foule qui grossissait. L’un des gardes arracha du<br />
chapeau de l’autre bourgeois sa cocarde blanche, qu’il jeta par<br />
terre et piétina ; comme l’agressé protestait, un autre garde<br />
s’empara des affiches qu’il portait, les plongea dans son seau de<br />
colle et lui en barbouilla le visage. Octave ôta de son chapeau la<br />
cocarde que Morin y avait épinglée et il s’esquiva.<br />
Du côté de la Madeleine, il aperçut un drapeau blanc qui<br />
flottait comme prévu à l’un des balcons de l’hôtel de Sémallé. Si<br />
les badauds levaient le nez, aucun ne rouspétait, aucun ne<br />
saluait cet emblème, ils s’en fichaient pas mal. Les drapeaux ne<br />
faisaient plus frémir les Parisiens, ni de honte ni de joie, ils se<br />
réveillaient d’un invraisemblable cauchemar, l’air était doux, ils<br />
avaient envie de danser. Les boutiquiers imaginaient que les<br />
affaires allaient reprendre, que les envahisseurs feraient leur<br />
fortune en achetant à l’excès des tissus, des colliers, des<br />
bouteilles de vin ; d’autres pensaient bourrer leurs salles de<br />
spectacle ou leurs cabarets : les officiers étrangers<br />
distribueraient sans compter leurs pièces d’or, trop heureux de<br />
leur victoire après de si rudes opérations pendant un hiver.<br />
Non loin de l’hôtel du comte, des jeunes gens en écharpes<br />
blanches, une vingtaine, agitaient des mouchoirs au bout de<br />
leurs cannes en hurlant : « À bas le tyran ! Vivent les<br />
Bourbons ! » Dans les faubourgs ils auraient été copieusement<br />
boxés, mais ici, dans la partie élégante des boulevards, la foule<br />
indifférente s’ouvrait pour qu’ils passent sans que les<br />
conversations s’interrompent. Ces excités, pensait Octave,<br />
n’avaient jamais connu de rois, ils ignoraient ce qu’ils braillaient<br />
avec une conviction de commande, par détestation de l’ordre<br />
impérial. Derrière eux, il reconnut à son habit de soie prune le<br />
marquis de Maubreuil : il avait attaché sa croix de la Légion<br />
d’honneur à la queue de son cheval et chantait comme un ténor<br />
« Vive le roi ! ».<br />
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