Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
invisible : tellement de scènes significatives restent sans<br />
témoins, comme cette entrevue de hasard dont il ne pouvait<br />
approcher ; il se contentait d’en deviner la tournure de loin, à<br />
l’attitude des deux anciens compagnons d’armes. L’Empereur<br />
avait ôté son chapeau, l’autre gardait sa casquette et un air<br />
insolent. Devenu invisible, Octave se serait glissé entre eux et il<br />
aurait entendu une conversation brève et brutale.<br />
— Bonjour, monsieur le duc de Castiglione, disait Napoléon.<br />
— Duc de quoi ? D’un village pouilleux que j’ai tenu malgré<br />
tes ordres contre des Autrichiens ? Castiglione, ah oui ça sonne,<br />
mais ça sonne creux, comme tout ce que tu donnes et tout ce<br />
que tu as fait.<br />
— Je me suis trompé sur les hommes.<br />
— Non, c’est toi qui les as trompés.<br />
— Vous me devez votre fortune, monsieur le duc.<br />
— Tu ramènes tout à toi !<br />
— Partez me cracher dessus à Paris, monsieur le duc, les<br />
Bourbons vous récompenseront.<br />
— Tu es aussi rapace que ton aigle ! Regarde où tu nous as<br />
menés.<br />
— Allez reposer avec vos rancunes !<br />
— Je ne suis plus ton pantin !<br />
Augereau mit deux doigts à la visière de sa casquette.<br />
Napoléon s’enfonça le bicorne sur le front ; montrant le dos au<br />
maréchal, il retourna vers sa voiture à grands pas. Plus tard,<br />
comme tous les passagers étaient descendus des berlines qui<br />
allaient traverser l’Isère sur des bacs, Sir Neil Campbell lui<br />
montra un ordre du jour signé par Augereau que des soldats à<br />
cocardes blanches lui avaient remis à Valence. Napoléon<br />
demanda ses lunettes à Bertrand et lut ce texte sans émotion :<br />
Vous êtes délivrés de vos serments… Vous l’êtes par l’abdication<br />
d’un homme qui, après avoir immolé des milliers de victimes à sa<br />
cruelle ambition, n’a pas su mourir en soldat. Jurons fidélité à<br />
Louis XVIII et arborons les couleurs vraiment françaises…<br />
L’Empereur déchira cette proclamation en rubans et dit à<br />
l’Anglais :<br />
— Le duc de Castiglione m’a confirmé tout cela.<br />
114