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ses commandements aux marmitons et aux sous-fifres, il ne<br />
s’emportait que pour une tisane trop chaude, un drap froissé,<br />
des lentilles froides. Il ne pouvait même pas se plaindre du<br />
bruit : les rares occupants du château y marchaient comme des<br />
moines. Quand il entendait une voiture, il savait qu’un des siens<br />
s’en allait. Il n’essayait pas de retenir ceux qui l’avaient servi, au<br />
contraire, il les encourageait à rallier le nouveau gouvernement<br />
et à se signaler aux Bourbons : qu’ils ne manquent pas<br />
l’occasion d’une place ou d’une rente à cause d’un dévouement<br />
inutile. Même son mamelouk partit visiter sa femme à Paris où<br />
elle habitait, jurant de revenir, mais qu’importe, chacune des<br />
heures passées renforçait l’humiliation et le désarroi de<br />
l’Empereur. Indolent, ailleurs, brisé, il ne réagissait qu’à peine.<br />
Octave ne le perdait jamais de vue, selon les consignes de<br />
Bassano, et un matin, entrant dans la chambre, il vit Napoléon<br />
tassé dans son fauteuil, du sang sur sa culotte blanche ; il s’était<br />
lacéré la cuisse avec ses ongles.<br />
Le 12 avril, dès le matin, les mauvaises nouvelles se<br />
succédèrent. Ce fut d’abord Peyrusse, l’officiel payeur des<br />
voyages, qui rentra sans avoir pu récupérer la moindre part des<br />
diamants et des millions de la liste civile emportés par la Cour :<br />
au nom du roi, un marquis de La Grange avait arraisonné le<br />
convoi près d’Orléans et ramené l’argent aux Tuileries ;<br />
surveillés par la garde nationale, les fourgons n’avaient toujours<br />
pas été déchargés parce que les fonctionnaires du Trésor se<br />
disputaient avec les royalistes qui voulaient conserver le magot.<br />
Plus tard dans la journée, le général Cambronne aussi revenait<br />
bredouille. Quand il était arrivé au château de Blois,<br />
l’impératrice était partie pour celui de Rambouillet où<br />
l’attendait son père. Enfin, dans la soirée, Caulaincourt et<br />
Macdonald apportèrent le traité établi par les alliés. Pourvu que<br />
l’ex-empereur décampe au plus vite, la plupart de ses demandes<br />
avaient été respectées, sauf une, concernant Marie-Louise ; elle<br />
n’obtiendrait pas la Toscane pour s’y retirer, la délégation de<br />
son propre père s’y opposait. « Ces Autrichiens n’ont pas<br />
d’entrailles ! » dit Napoléon. Seule sa signature manquait<br />
désormais pour qu’il règne sur un rocher en Méditerranée, cette<br />
île d’Elbe qu’on lui octroyait après avoir songé à Corfou ou à la<br />
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