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— Elle est restée à Porto Ferraio, répondit Pons d’une voix<br />
troublée.<br />
— Elle ne pouvait pas me recevoir ?<br />
— Elle achève de confectionner des drapeaux…<br />
— Vous la remercierez du soin qu’elle prend.<br />
— Certainement, monsieur, balbutiait Pons qui en oubliait<br />
les formules d’usage.<br />
Ses invités passèrent dans la salle à manger et le pauvre<br />
M. Pons se demandait quels impairs il allait encore commettre,<br />
mais Sa Majesté ne lui adressa plus la parole, préférant<br />
questionner sur l’extraction du fer le général Dalesme ou cet<br />
imbécile de Taillade, un lieutenant de vaisseau sans<br />
commandement, implanté dans l’île mais si prétentieux que les<br />
Elbois s’en moquaient. Il jouait le savant, pour se faire valoir en<br />
expliquant à Napoléon ce qu’il savait déjà, que le nom d’Elbe<br />
venait de l’étrusque ilva, fer, ou qu’à la citadelle de Porto<br />
Longone les Médicis envoyaient des forçats, de qui descendaient<br />
les ouvriers des mines.<br />
Bertrand avait lui-même placé les convives en reléguant<br />
M. Pons loin de l’Empereur, comme s’il était en punition.<br />
Dalesme surveillait du regard l’administrateur, et par des petits<br />
signes le calmait, car la situation l’exaspérait, surtout lorsque<br />
l’Empereur s’étonna qu’on ne puisse transformer le minerai sur<br />
l’île, faute de bois pour alimenter des fourneaux. « Eh bien nous<br />
planterons des forêts », disait-il, en ajoutant avec un accent de<br />
gaieté qu’il se sentait devenir paysan. Quand on apporta la<br />
bouillabaisse il demanda quel était ce plat, et il prétendit n’en<br />
avoir jamais mangé en lorgnant M. Pons du coin de l’œil. Celuici<br />
se contenait mal et manqua plusieurs fois se lever de table,<br />
mais l’Empereur parlait de métamorphoser l’île, d’y construire<br />
de vraies routes, des égouts en ville ; il trouvait anormal qu’elle<br />
ne puisse produire assez de blé pour sa suffisance et qu’elle<br />
doive en importer. La conversation dévia ainsi sur l’Italie toute<br />
proche que les Autrichiens occupaient : Napoléon pensait que<br />
toutes ces nations de la péninsule devraient un jour se fondre<br />
dans une grande patrie italienne ; pour cela il fallait abolir les<br />
rivalités, que Rome, Florence et Milan s’entendent pour être<br />
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