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Undaunted

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Chauvin ne répondait pas, il enveloppait dans un papier<br />

l’une de ses redingotes brodées, regarda sa montre ; sans<br />

bavardage, ils quittèrent le palais en civil, par une porte latérale<br />

qui donnait sur la forêt. Ils suivirent l’enceinte du parc en<br />

direction de cette ville étirée le long de la route et qui s’arrêtait<br />

aux grilles. Ils marchaient. Chauvin expédiait sa leçon en<br />

quelques phrases :<br />

— Le matin, une tasse de fleurs d’oranger que vous<br />

apporterez sur un plateau de vermeil… Le principal, c’est que<br />

vous gardiez en permanence vos oreilles aux aguets. Nous<br />

autres, les domestiques, nous écoutons tout, nous voyons tout et<br />

personne ne nous remarque, nous sommes des meubles, les<br />

maîtres parlent en confiance.<br />

Octave avait déjà récité à Chauvin son passé d’émigré, et il<br />

feignait de découvrir que la valetaille recueillait les échos, les<br />

caprices, les secrets. Il le savait de naissance : son père avait été<br />

successivement valet de chambre d’un duc sous Louis XVI,<br />

limonadier dès la Révolution, informateur du Comité de sûreté<br />

générale ; avant Thermidor, car il avait du nez ou de bonnes<br />

sources, il s’était lui-même dénoncé à ces Jacobins dont il était<br />

un agent actif, sauvant sa tête quand celle de Robespierre<br />

tomba ; il servit aussitôt la police du Directoire puis celle du<br />

Consulat, avant de mourir dans son lit, le foie dévasté par les<br />

pichets. Octave avait tout appris dans la taverne de son père.<br />

Les anciens domestiques de la noblesse la fréquentaient et<br />

échangeaient des informations utiles. Jeune encore, Octave y<br />

avait connu Monsieur Nicolas, dit le Hibou parce qu’il rôdait la<br />

nuit dans Paris, avec son manteau bleu et son bâton de<br />

crocheteur. Lui aussi avait survécu à toutes les politiques, et on<br />

le laissait publier des textes crus en échange de rapports précis<br />

sur la vie nocturne, ses bouges et ses marquises, qu’il livrait<br />

sous des pseudonymes. Quand Octave se lia d’amitié avec lui,<br />

Monsieur Nicolas travaillait au bureau de surveillance de la<br />

correspondance des émigrés et des étrangers ; il avait initié<br />

Octave à son métier, à ses malices, à ses plaisirs cachés, à ses<br />

risques ; il lui avait aussi enseigné la grammaire et l’amour du<br />

langage, voilà pourquoi le jeune homme s’était retrouvé<br />

publiciste au Journal de l’Empire ; il donnait des feuilletons<br />

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