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aussi que cela fournissait des sujets de brouilles et de guerres<br />
futures entre ses adversaires. Le tsar Alexandre voulait-il le<br />
duché de Varsovie, et consolider une Pologne vassale ?<br />
L’Autriche redoutait ce nouvel État quand, en Saxe, la Prusse<br />
menaçait déjà ses frontières. De son côté, l’Angleterre avait<br />
intérêt à fortifier la Prusse pour se garantir contre la Russie. Ils<br />
se formaient en clans rivaux. Talleyrand, invité en spectateur<br />
puisque malgré lui dans le camp des vaincus, jouait les témoins<br />
désintéressés en attisant les discordes. Son talent sournois s’y<br />
exerçait avec plaisir, même si la France n’avait rien à dire : elle<br />
n’avait plus d’armée.<br />
« La France n’a plus d’armée », se répétait Napoléon, mais<br />
les militaires rendus à la vie civile, les prisonniers de ses<br />
batailles rentrés au pays, tous rêvaient à son retour. Il avait<br />
appris que dans l’Ain des bandes populaires parcouraient les<br />
villages en criant son nom et en braillant des chants<br />
bonapartistes. Qu’à Rennes on avait sifflé au théâtre une pièce<br />
intitulée Le retour des Lys. Qu’on avait fêté la Saint-Napoléon<br />
dans les Vosges. Qu’à Auxerre, des furieux avaient promené un<br />
mannequin du roi en jupes de femme. Un architecte de Calais,<br />
chargé d’édifier une colonne commémorative du débarquement<br />
de Louis XVIII, avait reçu un billet anonyme : « Mets-y des<br />
roulettes, à ta colonne, qu’elle puisse suivre ton gros roi en<br />
exil ! » Les soldats des garnisons se morfondaient, ils<br />
conservaient des cocardes tricolores au fond de leurs havresacs.<br />
Si des petits marquis nommés officiers les obligeaient à crier<br />
« Vive le roi ! », ils ajoutaient à voix basse « de Rome ». S’ils<br />
jouaient aux cartes ils n’annonçaient pas le roi de pique ou de<br />
trèfle, mais le cochon de pique ou le cochon de trèfle. Souvent,<br />
dans les casernes, des trompettes sonnaient Il reviendra. Et le<br />
soir, les anciens de la Grande Armée trinquaient à l’Absent.<br />
Dimanche 1 er janvier 1815. J’ouvre un nouveau cahier pour<br />
la nouvelle année modestement fêtée aux Mulini, par souci<br />
d’économie. Avec ce que nous avons en caisse, nous n’avons<br />
plus que de quoi tenir un an. L’Empereur rogne sur les<br />
fournitures militaires, il a vendu des chevaux d’attelage,<br />
diminué les traitements de moitié, supprimé le bateau de poste<br />
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