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fortes ensemble. Quand on en vint à évoquer la guerre, il<br />
répondit brusquement :<br />
— Ne me parlez plus de guerre ! Ne m’en parlez plus…<br />
Voyez-vous, j’y ai beaucoup pensé… Nous avons fait la guerre<br />
toute notre vie, l’avenir nous forcera peut-être à la faire encore,<br />
et cependant la guerre va devenir un anachronisme. Ces<br />
batailles ? L’affrontement de deux sociétés, celle qui date de 89<br />
et l’ancien régime, qui ne pouvaient subsister ensemble, la plus<br />
jeune a dévoré l’autre… Eh oui, la guerre m’a renversé, moi le<br />
représentant de la Révolution française et l’instrument de ses<br />
principes. N’importe. C’est une bataille perdue pour la<br />
civilisation, mais la civilisation, croyez-moi, prendra sa<br />
revanche…<br />
Sa bouillabaisse refroidissait, qu’il n’avait pas encore<br />
touchée, mais, le couteau en l’air, l’Empereur continuait son<br />
développement, les yeux mi-clos :<br />
— Il y a deux systèmes, le passé et l’avenir : le présent n’est<br />
qu’une transition pénible. Qui doit triompher, selon vous ?<br />
L’avenir, n’est-ce pas ? Eh bien l’avenir c’est l’intelligence,<br />
l’industrie et la paix ! Je vous le répète, messieurs, ne me parlez<br />
plus de la guerre, elle n’est plus dans nos mœurs…<br />
M. Pons pensait que ce discours lui était destiné, et que Sa<br />
Majesté, qui négligeait la bouillabaisse, chatouillait ses<br />
convictions républicaines, mais tout de même, ce despote allaitil<br />
lui donner des leçons sous son propre toit ? Il fulminait mais<br />
restait à sa place. Quand l’Empereur se leva avant le café, il<br />
daigna demander à son hôte des précisions sur le travail des<br />
mines et leur rendement, mais M. Pons se contenta de répondre<br />
qu’il lui donnerait par écrit tous les renseignements, ce qui était<br />
vexant, puis, comme ils se promenaient à côté de l’endroit où<br />
l’on entasse le minerai avant de le charger, un groupe<br />
d’employés et de mineurs coururent au-devant de l’Empereur,<br />
s’agenouillèrent et lui remirent une pétition pour que leur<br />
administrateur bien-aimé demeure à son poste. L’Empereur<br />
fronça les sourcils en parcourant la supplique et M. Pons, très<br />
gêné, lui dit :<br />
— Monsieur, je suis étranger à cette démarche déplacée !<br />
— Vous êtes toujours républicain ?<br />
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