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trompeur et pesant qui précède les orages, les roues grinçantes,<br />
les pas sur les cailloux revenaient aux oreilles multipliés par<br />
leurs échos. La résine des torches fumait. Au bout d’un quart de<br />
lieue, l’Empereur fit ses adieux en distribuant des cadeaux. À<br />
Marie, il tendit une enveloppe qui contenait ses bijoux, dont il<br />
ne voulait pas la dessaisir, mais elle l’ouvrirait plus tard, puis il<br />
donna un écrin à Émilie, des boîtes de jouets et des friandises<br />
au petit Alexandre, recroquevillé au fond de la berline, effrayé<br />
par un tonnerre lointain. Napoléon remonta vers l’ermitage,<br />
laissant un peloton de cavalerie en escorte.<br />
Il est sous sa tente quand la pluie cingle la toile et la charge<br />
d’eau par poches. Il enfile sa redingote, enfonce son chapeau et<br />
appelle. Une fois encore il tombe sur Octave qui joue aux cartes<br />
dans la chapelle, avec des gardes, sous une veilleuse faiblarde.<br />
L’orage éclate. Le tonnerre redouble et se rapproche. Des éclairs<br />
illuminent plusieurs fois de bleu les carreaux de la chapelle.<br />
Napoléon s’inquiète, ses lèvres tremblent, il se tord les mains.<br />
Marie va-t-elle pouvoir s’embarquer sans risques ? Le brick ne<br />
va-t-il pas se fracasser sur les récifs, si nombreux tout au long<br />
de la côte ? Il s’emporte, il imagine la catastrophe. Octave refuse<br />
le cheval d’un officier polonais, il enfourche un mulet, moins<br />
rapide mais plus sûr, et part aux nouvelles, les yeux brouillés de<br />
pluie et sans lumière. Il dévale dans l’obscurité, contre la paroi,<br />
contre les arbres serrés, le chemin étroit qu’il connaît, parvient<br />
à Marciana Marina malgré le vent qui fouette. Il n’aperçoit pas<br />
les fanaux du navire. Serait-il parti ? Où est-il ? Et les<br />
voyageurs ? Le capitaine du port, tiré de son lit, le renseigne :<br />
— Ils sont plus là, monsieur.<br />
— Mais où ? Sur le brick ? Par cette tempête ?<br />
— Non, ils ont pas pu s’embarquer, monsieur, mais j’ai<br />
prévenu le bateau par signaux optiques, avant la grosse pluie,<br />
pour qu’il se déroute sur le cap Vita et qu’il s’ancre à Porto<br />
Longone. La baie est abritée, monsieur, à Porto Longone.<br />
— Les voyageurs ?<br />
— C’est que le voilier, il tournait sur ses ancres…<br />
— J’ai compris ! Les voyageurs, vous dis-je ?<br />
— Eux, ils étaient pris dans les rafales, pas vrai ? Ça a même<br />
éteint leurs flambeaux, mais ils sont partis pareil, vers Porto<br />
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