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Tuileries qu’on avait déniché derrière les rideaux de mon<br />
cabinet de travail ?<br />
— Oh oui, sire, il avait déjoué les rondes et les sentinelles…<br />
— Il prétendait retrouver l’âme de son père dans les lumières<br />
du palais !<br />
— Un fou que nous avons expédié à Charenton, sire, mais<br />
aujourd’hui il ne s’agit plus de fous.<br />
— L’argent des banquiers est autrement redoutable, hein ?<br />
— Beaucoup nous trahissent, même Pasquier ajoute à la fin<br />
de sa lettre qu’on ne doit plus s’adresser à lui.<br />
— Voyons, monsieur le duc, celui qui prévient ne trahit pas.<br />
Octave devait se souvenir éternellement de la journée du<br />
4 avril. C’était un lundi. Il avait passé la nuit à remplacer<br />
Chauvin. Son travail consistait à poser dans la chambre de<br />
l’Empereur, sur la commode, une assiette avec deux verres que<br />
couvrait une serviette, un sucrier en argent au couvercle en<br />
forme de conque, une petite cuiller et une carafe pleine d’eau :<br />
Napoléon, parfois, se relevait pour boire de l’eau sucrée. Pour le<br />
reste, Octave devait se tenir disponible. Il avait vu des officiers<br />
entrer et sortir du bureau, sombres, irritables ; il avait entendu<br />
des éclats de voix sans réussir à comprendre les discussions ou<br />
les ordres. Il avait déjà averti Bassano des projets meurtriers de<br />
Maubreuil, mais l’Empereur, pensait le duc, ne risquait rien<br />
dans l’immédiat : Octave lui relaterait tout cela au matin pour<br />
qu’ils mesurent ensemble ce danger, que confirmait la lettre du<br />
préfet Pasquier. Puis, dès que Napoléon s’était fermé dans sa<br />
chambre, Octave avait ôté sa livrée pour ne pas la froisser, et il<br />
s’étendit en gilet sur un canapé. De même, le mamelouk<br />
Roustan rangea sa toque de velours et son sabre courbe sur une<br />
chaise, il poussa contre la porte son lit de sangle. Grassouillet,<br />
coquet, sans cervelle, cet enfant de Tiflis, esclave d’un sultan<br />
avant de devenir en Égypte le toutou du général Bonaparte,<br />
parlait sans répit du bureau de loterie que venait de lui accorder<br />
l’Empereur, mais il épargna ce récit à Octave en s’endormant<br />
vite. Hélas, le bougre se mit à ronfler ; il ronflait sur des<br />
rythmes changeants et la nuit fut éprouvante, propice à agiter<br />
des pensées discordantes, dans un demi-sommeil qui exaspérait<br />
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