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elle ouvrait un bal en entraînant pour une danse ce pauvre<br />
Cambronne, si gauche, et on s’amusait à voir les efforts du<br />
général qui évitait de lui écraser ses ballerines de soie rose.<br />
Octave savait que le séjour à Naples de la princesse avait<br />
contribué à raccommoder Murat et l’Empereur, et il la louait de<br />
cela, mais, s’il avait été ébloui par sa beauté, sur la route de<br />
l’exil, avant Fréjus, il voyait désormais cette déesse de près, il la<br />
fréquentait chaque jour ; qu’importe s’il avait des bouffées de<br />
chaleur en découvrant ses tenues affolantes, il se fatiguait de ses<br />
caprices, de ses bouderies feintes, de ses exagérations, de ses<br />
jérémiades perpétuelles. L’Empereur demandait souvent à sa<br />
sœur de prendre l’air, c’est-à-dire, pour la remuer, qu’elle<br />
découvre son île. Jusqu’à présent Octave avait échappé à la<br />
corvée des promenades, mais aujourd’hui Napoléon l’avait<br />
désigné à dessein. Plus les menaces pesaient et s’accumulaient,<br />
plus la police refoulait des indésirables, dont quelques-uns<br />
portaient des couteaux effilés, plus les projets de Napoléon se<br />
précisaient (sans qu’il en parle à personne), et plus il voulait<br />
d’insouciance autour de lui : Octave parmi les demoiselles de<br />
compagnie, tenant le bras de Pauline, cela signifiait au-dehors<br />
qu’aucune opération sérieuse ne se montait et qu’on prenait peu<br />
au sérieux les menaces de mort.<br />
Octave monta l’escalier droit aux marches de marbre rose,<br />
qui menait aux appartements de Pauline, longtemps prévus<br />
pour l’impératrice, à l’étage des Mulini. Il se fit annoncer, entra<br />
dans le grand salon lumineux aux fauteuils blanc et or. Des<br />
jeunes femmes habillaient la princesse en lui nouant aux<br />
épaules une tunique drapée.<br />
— Je suis à la disposition de Votre Altesse, dit-il un peu gêné.<br />
— Nabulione veut que vous m’emmeniez où ?<br />
— Sa Majesté a pensé que les hauteurs de San Martino<br />
redonneraient une santé à Votre Altesse…<br />
— C’est affreusement loin !<br />
— Une heure de route, tout au plus.<br />
— Mais je n’ai rien à me mettre pour ce voyage !<br />
— Ce n’est pas vraiment un voyage, tout au plus une balade<br />
dans la campagne, et le temps est doux…<br />
— Vous ne comprenez rien, mon pauvre ami !<br />
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