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Dimensiuni ale limbajului n context carceral

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processus de réécriture du réel par le truchement de cette «calligraphie lumineuse» dans le but de l’embellir<br />

car la réalité est toujours décevante dans sa simple matérialité.<br />

La même idée est soutenue par Simona Jişa dans l’ouvrage intitulé La figure de l’artiste chez Jean<br />

Rouaud où elle affirme que «la réalité est ressentie comme „plate”, l’original – la réalité objective – ne<br />

présente aucun intérêt pour celui qui désire esthétiser le monde selon une „calligraphie lumineuse”» 1 .<br />

L’homme roualdien ressent donc le besoin d’apprivoiser le réel par un regard individualisé, qui confine au<br />

regard de l’artiste.<br />

De ce point de vue, les lunettes servent d’intermédiaire entre l’individu et son cadre existentiel. Elles<br />

réalisent une médiation absolument nécessaire entre les choses et l’œil qui les observe. Pour que les éléments<br />

du réel pénètrent dans la conscience humaine, leur embellissement obligatoire est réalisé par le truchement<br />

des lunettes. Un défaut physique est ainsi converti par Rouaud en source de la sublimation artistique du<br />

monde.<br />

Le regard du myope est repris comme symbole dans Le monde à peu près, le troisième livre de Jean<br />

Rouaud. Le titre même du roman suggère une image approximée du monde. La vue de l’artiste, comme celle<br />

du myope, implique comme condition nécessaire une dé-formation du réel qui n’est autre chose qu’une<br />

véritable ré-formation de celui-ci. L’artiste symbolisé par le myope recrée donc le monde par son regard<br />

déformant. L’œil du myope est l’œil d’un démiurge.<br />

Cette nouvelle image du monde issue de l’œil du myope, donc de l’artiste, est identifiée par l’auteur<br />

lui-même à «une vision microscopique des choses, percevant jusqu’au filaments du liquide lacrymal qui se<br />

déplacent sur la rétine» 2 , une «vision au ras des pâquerettes» 3 , une «vue en raccourci». 4 Il s’agit donc d’un<br />

regard dirigé vers le détail et qui s’avère incapable de surprendre exactement le panorama du monde<br />

environnant. Les larges perspectives deviennent floues, provocatrices d’une vision instable et incertaine. C’est<br />

le vague qui en résulte :<br />

«Mais pour ce qui est de voir grand, à un rayon de là, c’est-à-dire de l’iris, c’est l’athanor :<br />

l’univers fusionne, se désagrège, domaine verlainien du flou, de l’imprécis, composition tachiste du<br />

paysage, couleurs débordant du trait, volumes aquarellés, blocs brumeux, perspective évanescente,<br />

profondeur écrasée, silhouettes escamotées, nuages bibendum dégonflés, ciel tendu comme un lointain<br />

de théâtre, lumières électriques noyées dans une nuées de micro-étincelles, soleil corpusculaire, disque<br />

de lune ceinturé, quelle que soit la saison, d’une parasélène, cette couronne crayeuse dont on dit<br />

qu’elle est signe de neige». 5<br />

1<br />

Simona Jişa, La figure de l’artiste chez Jean Rouaud, Cluj-Napoca, Casa Cărţii de Ştiinţă, 2007, p. 171.<br />

2<br />

Jean Rouaud, Le monde à peu près, Paris, Les Editions de Minuit, 1996, p. 21.<br />

3<br />

Ibid., p. 22.<br />

4<br />

Ibid., p. 23.<br />

5<br />

Jean Rouaud, Le monde à peu près, Paris, Les Editions de Minuit, 1996, p. 21-22.

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