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Dimensiuni ale limbajului n context carceral

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Le regard myope de l’artiste refuse donc de saisir l’existence en tant que totalité, non par modestie<br />

mais à partir de la croyance forte que seul le détail est significatif et révélateur de la beauté du monde. Devant<br />

un tel regard, le monde devient un microcosme toujours à la portée de l’artiste et l’exploration de ce<br />

microcosme confine au regard dirigé vers l’intérieur. Celui-ci est propre à chaque créateur car toute création<br />

artistique suppose une intériorisation de l’univers extérieur à l’artiste, une réflexion individualisée, unique de<br />

la vie et du monde.<br />

Un autre symbole de la création artistique présent dans Les champs d’honneur, le premier roman de<br />

Jean Rouaud, est celui du grenier, topos lié à la personne du grand-père maternel de l’écrivain, Alphonse<br />

Burgaud. Après la disparition physique de son gendre, qui l’a profondément marqué, le grand-père procède à<br />

une opération de réarrangement du grenier de la maison famili<strong>ale</strong>. Sa démarche symbolise l’acte de la création<br />

artistique en tant que tentative de ré-création de l’univers connu. A l’image de tout artiste, le grand-père<br />

maternel accomplit sa tâche dans une tot<strong>ale</strong> solitude, en s’isolant de toutes les contingences, même des<br />

membres de la famille :<br />

«On mourait d’envie de monter voir, mais le grenier nous était interdit. Non formellement,<br />

aucune instruction dans ce sens, mais grand-père en son domaine n’était pas un homme qu’on<br />

dérangeait. Son mutisme, cette façon de vous regarder sans voir, l’œil mi-clos derrière la fumée de sa<br />

cigarette, tissait autour de lui un périmètre de sécurité qui ne se franchissait qu’avec son<br />

assentiment». 1<br />

Ce qui réalise Jean Rouaud dans ces lignes n’est pas purement et simplement le portrait de son grandpère<br />

mais une image figée de l’intellectuel, de l’artiste, de l’écrivain, telle que la conscience collective la<br />

garde. Le mutisme du personnage devient ici l’équiv<strong>ale</strong>nt de la myopie : la parole en tant que moyen<br />

d’ouverture vers les autres, vers l’extérieur, est réprimée et le héros s’enferme dans le corpus secret de ses<br />

pensées,<br />

comme pour une couvée artistique.<br />

Simona Jişa propose dans La figure de l’artiste chez Jean Rouaud le même symbolisme pour la<br />

voiture. Il s’agit de la 2CV du grand-père Burgaud mais aussi de plusieurs voitures détenues par Joseph, le<br />

père. Toutes ces automobiles permettent l’isolement absolument nécessaire à la réflexion et à la création<br />

artistique, en constituant «un espace clos trahissant (…) le besoin de refuge ressenti par l’auteur (…) L’entrée<br />

en voiture<br />

équivaut à une entrée en matière, à un déclenchement de la création grâce à un code personnel<br />

(…)». 2<br />

1<br />

Jean Rouaud, Les champs d’honneur, Paris, Les Editions de Minuit, 1991, p. 135.<br />

2<br />

Simona Jişa, o. c., p. 151.

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