11.07.2015 Views

La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Indépendamment <strong>de</strong> la répugnance bien naturelle qu'il avait à confier sa vie aupasseport du malheureux Giletti, ce document présentait <strong>de</strong>s difficultés matérielles: lataille <strong>de</strong> Fabrice atteignait tout au plus à cinq pieds cinq pouces, et non pas à cinqpieds dix pouces <strong>com</strong>me l'énonçait le passeport; il avait près <strong>de</strong> vingt-quatre ans etparaissait plus jeune, Giletti en avait trente-neuf. Nous avouerons que notre héros sepromena une gran<strong>de</strong> <strong>de</strong>mi-heure sur une contre-digue du Pô voisine du pont <strong>de</strong>barques, avant <strong>de</strong> se déci<strong>de</strong>r à y <strong>de</strong>scendre. Que conseillerais-je à un autre qui setrouverait à ma place? se dit-il enfin. Évi<strong>de</strong>mment <strong>de</strong> passer: il y a péril à rester dansl'état <strong>de</strong> <strong>Parme</strong>; un gendarme peut être envoyé à la poursuite <strong>de</strong> l'homme qui en a tuéun autre, fût-ce même à son corps défendant. Fabrice fit la revue <strong>de</strong> ses poches,déchira tous les papiers et ne garda exactement que son mouchoir et sa boîte àcigares; il lui importait d'abréger l'examen qu'il allait subir. Il pensa à une terribleobjection qu'on pourrait lui faire et à laquelle il ne trouvait que <strong>de</strong> mauvaisesréponses: il allait dire qu'il s'appelait Giletti et tout son linge était marqué F.D.Comme on voit, Fabrice était un <strong>de</strong> ces malheureux tourmentés par leur imagination;c'est assez le défaut <strong>de</strong>s gens d'esprit en Italie. Un soldat français d'un courage égalou même inférieur se serait présenté pour passer sur le pont tout <strong>de</strong> suite, et sanssonger d'avance à aucune difficulté; mais aussi il y aurait porté tout son sang-froid, etFabrice était bien loin d'être <strong>de</strong> sang-froid, lorsque au bout du pont un petit homme,vêtu <strong>de</strong> gris, lui dit: Entrez au bureau <strong>de</strong> police pour votre passeport.Ce bureau avait <strong>de</strong>s murs sales garnis <strong>de</strong> clous auxquels les pipes et les chapeauxsales <strong>de</strong>s employés étaient suspendus. Le grand bureau <strong>de</strong> sapin <strong>de</strong>rrière lequel ilsétaient retranchés était tout taché d'encre et <strong>de</strong> vin; <strong>de</strong>ux ou trois gros registres reliésen peau verte portaient <strong>de</strong>s taches <strong>de</strong> toutes couleurs, et la tranche <strong>de</strong> leurs pagesétait noircie par les mains. Sur les registres placés en pile l'un sur l'autre il y avaittrois magnifiques couronnes <strong>de</strong> laurier qui avaient servi l'avant-veille pour une <strong>de</strong>sfêtes <strong>de</strong> l 'Empereur.Fabrice fut frappé <strong>de</strong> tous ces détails, ils lui serrèrent le coeur; il paya ainsi le luxemagnifique et plein <strong>de</strong> fraîcheur qui éclatait dans son joli appartement du palaisSanseverina. Il était obligé d'entrer dans ce sale bureau et d'y paraître <strong>com</strong>meinférieur; il allait subir un interrogatoire.L'employé qui tendit une main jaune pour prendre son passeport était petit et noir, ilportait un bijou <strong>de</strong> laiton à sa cravate. Ceci est un bourgeois <strong>de</strong> mauvaise humeur, sedit Fabrice; le personnage parut excessivement surpris en lisant le passeport, et cettelecture dura bien cinq minutes.- Vous avez eu un acci<strong>de</strong>nt, dit-il à l'étranger en indiquant sa joue du regard.- Le vetturino nous a jetés en bas <strong>de</strong> la digue du Pô. Puis le silence re<strong>com</strong>mença etl'employé lançait <strong>de</strong>s regards farouches sur le voyageur.J'y suis, se dit Fabrice, il va me dire qu'il est fâché d'avoir une mauvaise nouvelle àm'apprendre et que je suis arrêté. Toutes sortes d'idées folles arrivèrent à la tête <strong>de</strong>notre héros, qui dans ce moment n'était pas fort logique. Par exemple, il songea às'enfuir par la porte du bureau qui était restée ouverte; je me défais <strong>de</strong> mon habit; jeme jette dans le Pô, et sans doute je pourrai le traverser à la nage. Tout vaut mieuxque le Spielberg. L'employé <strong>de</strong> police le regardait fixement au moment où il calculaitles chances <strong>de</strong> succès <strong>de</strong> cette équipée, cela faisait <strong>de</strong>ux bonnes physionomies. <strong>La</strong>présence du danger donne du génie à l'homme raisonnable, elle le met, pour ainsi110

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!