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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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ouverte, il entra: c'était l'auberge <strong>de</strong> l'Étrille. Aussitôt accourut la bonne maîtresse <strong>de</strong>la maison, femme énorme; elle appela du secours d'une voix altérée par la pitié. Deuxjeunes filles aidèrent Fabrice à mettre pied à terre; à peine <strong>de</strong>scendu <strong>de</strong> cheval, ils'évanouit <strong>com</strong>plètement. Un chirurgien fut appelé, on le saigna. Ce jour-là et ceux quisuivirent, Fabrice ne savait pas trop ce qu'on lui faisait, il dormait presque sans cesse.Le coup <strong>de</strong> pointe à la cuisse menaçait d'un dépôt considérable. Quand il avait sa têteà lui, il re<strong>com</strong>mandait qu'on prît soin <strong>de</strong> son cheval, et répétait souvent qu'il paieraitbien, ce qui offensait la bonne maîtresse <strong>de</strong> l'auberge et ses filles. Il y avait quinzejours qu'il était admirablement soigné, et il <strong>com</strong>mençait à reprendre un peu ses idées,lorsqu'il s'aperçut un soir que ses hôtesses avaient l'air fort troublé. Bientôt un officierallemand entra dans sa chambre: on se servait pour lui répondre d'une langue qu'iln'entendait pas; mais il vit bien qu'on parlait <strong>de</strong> lui; il feignit <strong>de</strong> dormir. Quelquetemps après, quand il pensa que l'officier pouvait être sorti, il appela ses hôtesses:- Cet officier ne vient-il pas m'écrire sur une liste et me faire prisonnier? L'hôtesse enconvint les larmes aux yeux.- Eh bien! il y a <strong>de</strong> l'argent dans mon dolman! s'écria-t-il en se relevant sur son lit,achetez-moi <strong>de</strong>s habits bourgeois, et, cette nuit, je pars sur mon cheval. Vous m'avezdéjà sauvé la vie une fois en me recevant au moment où j'allais tomber mourant dansla rue; sauvez-la-moi encore en me donnant les moyens <strong>de</strong> rejoindre ma mère.En ce moment, les filles <strong>de</strong> l'hôtesse se mirent à fondre en larmes; elles tremblaientpour Fabrice; et <strong>com</strong>me elles <strong>com</strong>prenaient à peine le français, elles s'approchèrent <strong>de</strong>son lit pour lui faire <strong>de</strong>s questions. Elles discutèrent en flamand avec leur mère; mais,à chaque instant, <strong>de</strong>s yeux attendris se tournaient vers notre héros; il crut<strong>com</strong>prendre que sa fuite pouvait les <strong>com</strong>promettre gravement, mais qu'elles voulaientbien en courir la chance. Il les remercia avec effusion et en joignant les mains. Un juifdu pays fournit un habillement <strong>com</strong>plet; mais, quand il l'apporta vers les dix heures dusoir, ces <strong>de</strong>moiselles reconnurent, en <strong>com</strong>parant l'habit avec le dolman <strong>de</strong> Fabrice,qu'il fallait le rétrécir infiniment. Aussitôt elles se mirent à l'ouvrage; il n'y avait pas <strong>de</strong>temps à perdre. Fabrice indiqua quelques napoléons cachés dans ses habits, et priases hôtesses <strong>de</strong> les coudre dans les vêtements qu'on venait d'acheter. On avaitapporté avec les habits une belle paire <strong>de</strong> bottes neuves. Fabrice n'hésita point à prierces bonnes filles <strong>de</strong> couper les bottes à la hussar<strong>de</strong> à l'endroit qu'il leur indiqua, et l'oncacha ses petits diamants dans la doublure <strong>de</strong>s nouvelles bottes.Par un effet singulier <strong>de</strong> la perte du sang et <strong>de</strong> la faiblesse qui en était la suite, Fabriceavait presque tout à fait oublié le français; il s'adressait en italien à ses hôtesses, quiparlaient un patois flamand, <strong>de</strong> façon que l'on s'entendait presque uniquement parsignes. Quand les jeunes filles, d'ailleurs parfaitement désintéressées, virent lesdiamants, leur enthousiasme pour lui n'eut plus <strong>de</strong> bornes; elles le crurent un princedéguisé. Aniken, la ca<strong>de</strong>tte et la plus naïve, l'embrassa sans autre façon. Fabrice, <strong>de</strong>son côté, les trouvait charmantes; et vers minuit, lorsque le chirurgien lui eut permisun peu <strong>de</strong> vin, à cause <strong>de</strong> la route qu'il allait entreprendre, il avait presque envie <strong>de</strong>ne pas partir. Où pourrais-je être mieux qu'ici? disait-il. Toutefois, sur les <strong>de</strong>ux heuresdu matin, il s'habilla. Au moment <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> sa chambre, la bonne hôtesse lui appritque son cheval avait été emmené par l'officier qui, quelques heures auparavant, étaitvenu faire la visite <strong>de</strong> la maison.- Ah! canaille! s'écriait Fabrice en jurant, à un blessé! Il n'était pas assez philosophe,ce jeune Italien, pour se rappeler à quel prix lui-même avait acheté ce cheval.43

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