11.07.2015 Views

La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

marquis et madame la marquise Crescenzi. Fabrice, contre son attente, éprouva unviolent mouvement <strong>de</strong> colère.- Si j'étais Borso Valserra, se dit-il (c'était un <strong>de</strong>s généraux du premier Sforce), j'iraispoignar<strong>de</strong>r ce lourd marquis, précisément avec ce petit poignard à manche d'ivoireque Clélia me donna ce jour heureux, et je lui apprendrais s'il doit avoir l'insolence <strong>de</strong>se présenter avec cette marquise dans un lieu où je suis!Sa physionomie changea tellement, que le général <strong>de</strong>s frères mineurs lui dit:- Est-ce que Votre Excellence se trouve in<strong>com</strong>modée?- J'ai un mal à la tête fou... ces lumières me font mal... et je ne reste que parce quej'ai été nommé pour la partie <strong>de</strong> whist du prince.À ce mot, le général <strong>de</strong>s frères mineurs, qui était un bourgeois, fut tellementdéconcerté, que, ne sachant plus que faire, il se mit à saluer Fabrice, lequel, <strong>de</strong> soncôté, bien autrement troublé que le général <strong>de</strong>s mineurs, se prit à parler avec unevolubilité étrange; il entendait qu'il se faisait un grand silence <strong>de</strong>rrière lui et ne voulaitpas regar<strong>de</strong>r. Tout à coup un archet frappa un pupitre; on joua une ritournelle, et lacélèbre madame P... chanta cet air <strong>de</strong> Cimarosa autrefois si célèbre:Quelle pupille tenere!Fabrice tint bon aux premières mesures, mais bientôt sa colère s'évanouit, et iléprouva un besoin extrême <strong>de</strong> répandre <strong>de</strong>s larmes. Grand Dieu! se dit-il, quelle scèneridicule! et avec mon habit encore! Il crut plus sage <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> lui.- Ces maux <strong>de</strong> tête excessifs, quand je les contrarie, <strong>com</strong>me ce soir, dit-il au général<strong>de</strong>s frères mineurs, finissent par <strong>de</strong>s accès <strong>de</strong> larmes qui pourraient donner pâture à lamédisance dans un homme <strong>de</strong> notre état; ainsi je prie Votre Révérence Illustrissime<strong>de</strong> permettre que je pleure en la regardant, et <strong>de</strong> n'y pas faire autrement attention.- Notre père provincial <strong>de</strong> Catanzara est atteint <strong>de</strong> la même in<strong>com</strong>modité, dit legénéral <strong>de</strong>s mineurs. Et il <strong>com</strong>mença à voix basse une histoire infinie.Le ridicule <strong>de</strong> cette histoire, qui avait amené le détail <strong>de</strong>s repas du soir <strong>de</strong> ce pèreprovincial, fit sourire Fabrice, ce qui ne lui était pas arrivé <strong>de</strong>puis longtemps; maisbientôt il cessa d'écouter le général <strong>de</strong>s mineurs. Madame P... chantait, avec un talentdivin, un air <strong>de</strong> Pergolèse (la princesse aimait la musique surannée). Il se fit un petitbruit à trois pas <strong>de</strong> Fabrice; pour la première fois <strong>de</strong> la soirée il détourna les yeux. Lefauteuil qui venait d'occasionner ce petit craquement sur le parquet était occupé par lamarquise Crescenzi, dont les yeux remplis <strong>de</strong> larmes rencontrèrent en plein ceux <strong>de</strong>Fabrice, qui n'étaient guère en meilleur état. <strong>La</strong> marquise baissa la tête; Fabricecontinua à la regar<strong>de</strong>r quelques secon<strong>de</strong>s: il faisait connaissance avec cette têtechargée <strong>de</strong> diamants; mais son regard exprimait la colère et le dédain. Puis, se disant:et mes yeux ne te regar<strong>de</strong>ront jamais, il se retourna vers son père général, et lui dit:-Voici mon in<strong>com</strong>modité qui me prend plus fort que jamais.En effet, Fabrice pleura à chau<strong>de</strong>s larmes pendant plus d'une <strong>de</strong>mi-heure. Parbonheur, une symphonie <strong>de</strong> Mozart, horriblement écorchée, <strong>com</strong>me c'est l'usage enItalie, vint à son secours et l'aida à sécher ses larmes.272

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!