La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com
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Qui s'est jamais avisé <strong>de</strong> se récrier contre le ridicule <strong>de</strong>s règles du whist? Et pourtantune fois qu'on s'est accoutumé aux règles, il est agréable <strong>de</strong> faire l'adversaire chlemm.<strong>La</strong> <strong>com</strong>tesse pensait souvent à l'auteur <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> lettres aimables. Le jour où elle lesrecevait était agréable pour elle; elle prenait sa barque et allait les lire dans les beauxsites du lac, à la Pliniana, à Bélan, au bois <strong>de</strong>s Sfondrata. Ces lettres semblaient laconsoler un peu <strong>de</strong> l'absence <strong>de</strong> Fabrice. Elle ne pouvait du moins refuser au <strong>com</strong>ted'être fort amoureux; un mois ne s'était pas écoulé, qu'elle songeait à lui avec uneamitié tendre. De son côté, le <strong>com</strong>te Mosca était presque <strong>de</strong> bonne foi quand il luioffrait <strong>de</strong> donner sa démission, <strong>de</strong> quitter le ministère, et <strong>de</strong> venir passer sa vie avecelle à Milan ou ailleurs. J'ai 400 000 francs, ajoutait-il, ce qui nous fera toujours 15000 livres <strong>de</strong> rente. De nouveau une loge, <strong>de</strong>s chevaux! etc., se disait la <strong>com</strong>tesse,c'étaient <strong>de</strong>s rêves aimables. Les sublimes beautés <strong>de</strong>s aspects du lac <strong>de</strong> Cômere<strong>com</strong>mençaient à la charmer. Elle allait rêver sur ses bords à ce retour <strong>de</strong> viebrillante et singulière qui, contre toute apparence, re<strong>de</strong>venait possible pour elle. Ellese voyait sur le Corso, à Milan, heureuse et gaie <strong>com</strong>me au temps du vice-roi; lajeunesse, ou du moins la vie active re<strong>com</strong>mencerait pour moi!Quelquefois son imagination ar<strong>de</strong>nte lui cachait les choses, mais jamais avec elle il n'yavait <strong>de</strong> ces illusions volontaires que donne la lâcheté. C'était surtout une femme <strong>de</strong>bonne foi avec elle-même. Si je suis un peu trop âgée pour faire <strong>de</strong>s folies, se disaitelle,l'envie, qui se fait <strong>de</strong>s illusions <strong>com</strong>me l'amour, peut empoisonner pour moi leséjour <strong>de</strong> Milan. Après la mort <strong>de</strong> mon mari, ma pauvreté noble eut du succès, ainsique le refus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s fortunes. Mon pauvre petit <strong>com</strong>te Mosca n'a pas lavingtième partie <strong>de</strong> l'opulence que mettaient à mes pieds ces <strong>de</strong>ux nigauds Limercatiet Nani. <strong>La</strong> chétive pension <strong>de</strong> veuve péniblement obtenue, les gens congédiés, ce quieut <strong>de</strong> l'éclat, la petite chambre au cinquième qui amenait vingt carrosses à la porte,tout cela forma jadis un spectacle singulier. Mais j'aurai <strong>de</strong>s moments désagréables,quelque adresse que j'y mette, si, ne possédant toujours pour fortune que la pension<strong>de</strong> veuve, je reviens vivre à Milan avec la bonne petite aisance bourgeoise quepeuvent nous donner les 15 000 livres qui resteront à Mosca après sa démission. Unepuissante objection, dont l'envie se fera une arme terrible, c'est que le <strong>com</strong>te, quoiqueséparé <strong>de</strong> sa femme <strong>de</strong>puis longtemps, est marié. Cette séparation se sait à Parrne,mais à Milan elle sera nouvelle, et on me l'attribuera. Ainsi, mon beau théâtre <strong>de</strong> laScala, mon divin lac <strong>de</strong> Côme... adieu! adieu!Malgré toutes ces prévisions, si la <strong>com</strong>tesse avait eu la moindre fortune elle eûtaccepté l'offre <strong>de</strong> la démission <strong>de</strong> Mosca. Elle se croyait une femme âgée, et la cour luifaisait peur; mais, ce qui paraîtra <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière invraisemblance <strong>de</strong> ce côté-ci <strong>de</strong>sAlpes, c'est que le <strong>com</strong>te eût donné cette démission avec bonheur. C'est du moins cequ'il parvint à persua<strong>de</strong>r à son amie. Dans toutes ses lettres il sollicitait avec une folietoujours croissante une secon<strong>de</strong> entrevue à Milan, on la lui accorda. Vous jurer que j'aipour vous une passion folle, lui disait la <strong>com</strong>tesse, un jour à Milan, ce serait mentir; jeserais trop heureuse d'aimer aujourd'hui, à trente ans passés, <strong>com</strong>me jadis j'aimais àvingt-<strong>de</strong>ux! Mais j'ai vu tomber tant <strong>de</strong> choses que j'avais crues éternelles! J'ai pourvous la plus tendre amitié, je vous accor<strong>de</strong> une confiance sans bornes, et <strong>de</strong> tous leshommes, vous êtes celui que je préfère. <strong>La</strong> <strong>com</strong>tesse se croyait parfaitement sincère,pourtant vers la fin, cette déclaration contenait un petit mensonge. Peut-être, siFabrice l'eût voulu, il l'eût emporté sur tout dans son coeur. Mais Fabrice n'était qu'unenfant aux yeux du <strong>com</strong>te Mosca; celui-ci arriva à Milan trois jours après le départ dujeune étourdi pour Novare, et il se hâta d'aller parler en sa faveur au baron Bin<strong>de</strong>r. Le<strong>com</strong>te pensa que l'exil était une affaire sans remè<strong>de</strong>.61