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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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soldats il tomba sur un acacia qui, vu d'en haut, lui semblait avoir quatre ou cinq pieds<strong>de</strong> hauteur, et qui en avait réellement quinze ou vingt. Un ivrogne qui se trouvait làendormi le prit pour un voleur. En tombant <strong>de</strong> cet arbre, Fabrice se démit presque lebras gauche. Il se mit à fuir vers le rempart, mais, à ce qu'il dit, ses jambes luisemblaient <strong>com</strong>me du coton; il n'avait plus aucune force. Malgré le péril, il s'assit etbut un peu d'eau-<strong>de</strong>-vie qui lui restait. Il s'endormit quelques minutes au point <strong>de</strong> neplus savoir où il était; en se réveillant il ne pouvait <strong>com</strong>prendre <strong>com</strong>ment, se trouvantdans sa chambre, il voyait <strong>de</strong>s arbres. Enfin la terrible vérité revint à sa mémoire.Aussitôt il marcha vers le rempart; il y monta par un grand escalier. <strong>La</strong> sentinelle, quiétait placée tout près, ronflait dans sa guérite. Il trouva une pièce <strong>de</strong> canon gisantdans l'herbe; il y attacha sa troisième cor<strong>de</strong>; elle se trouva un peu trop courte, et iltomba dans un fossé bourbeux où il pouvait y avoir un pied d'eau. Pendant qu'il serelevait et cherchait à se reconnaître, il se sentit saisi par <strong>de</strong>ux hommes: il eut peurun instant; mais bientôt il entendit prononcer près <strong>de</strong> son oreille et à voix basse: Ah!monsignore! monsignore! Il <strong>com</strong>prit vaguement que ces hommes appartenaient à laduchesse; aussitôt il s'évanouit profondément. Quelque temps après il sentit qu'il étaitporté par <strong>de</strong>s hommes qui marchaient en silence et fort vite; puis on s'arrêta, ce quilui donna beaucoup d'inquiétu<strong>de</strong>. Mais il n'avait ni la force <strong>de</strong> parler ni celle d'ouvrir lesyeux; il sentait qu'on le serrait; tout à coup il reconnut le parfum <strong>de</strong>s vêtements <strong>de</strong> laduchesse. Ce parfum le ranima; il ouvrit les yeux; il put prononcer les mots: Ah! chèreamie! puis il s'évanouit <strong>de</strong> nouveau profondément.Le fidèle Bruno, avec une escoua<strong>de</strong> <strong>de</strong> gens <strong>de</strong> police dévoués au <strong>com</strong>te, était enréserve à <strong>de</strong>ux cents pas; le <strong>com</strong>te lui-même était caché dans une petite maison toutprès du lieu où la duchesse attendait. Il n'eût pas hésité, s'il l'eût fallu, à mettre l'épéeà la main avec quelques officiers à <strong>de</strong>mi-sol<strong>de</strong>, ses amis intimes; il se regardait<strong>com</strong>me obligé <strong>de</strong> sauver la vie à Fabrice, qui lui semblait gran<strong>de</strong>ment exposé, et quijadis eût eu sa grâce signée du prince, si lui Mosca n'eût eu la sottise <strong>de</strong> vouloir éviterune sottise écrite au souverain.Depuis minuit la duchesse, entourée d'hommes armés jusqu'aux <strong>de</strong>nts, errait dans unprofond silence <strong>de</strong>vant les remparts <strong>de</strong> la cita<strong>de</strong>lle; elle ne pouvait rester en place, ellepensait qu'elle aurait à <strong>com</strong>battre pour enlever Fabrice à <strong>de</strong>s gens qui lepoursuivraient. Cette imagination ar<strong>de</strong>nte avait pris cent précautions, trop longues àdétailler ici, et d'une impru<strong>de</strong>nce incroyable. On a calculé que plus <strong>de</strong> quatre-vingtsagents étaient sur pied cette nuit-là, s'attendant à se battre pour quelque chosed'extraordinaire. Par bonheur, Ferrante et Ludovic étaient à la tête <strong>de</strong> tout cela, et leministre <strong>de</strong> la police n'était pas hostile; mais le <strong>com</strong>te lui-même remarqua que laduchesse ne fut trahie par personne, et qu'il ne sut rien <strong>com</strong>me ministre.<strong>La</strong> duchesse perdit la tête absolument en revoyant Fabrice; elle le serraitconvulsivement dans ses bras, puis fut au désespoir en se voyant couverte <strong>de</strong> sang:c'était celui <strong>de</strong>s mains <strong>de</strong> Fabrice; elle le crut dangereusement blessé. Aidée d'un <strong>de</strong>ses gens, elle lui ôtait son habit pour le panser, lorsque Ludovic, qui, par bonheur, setrouvait là, mit d'autorité la duchesse et Fabrice dans une <strong>de</strong>s petites voitures quiétaient cachées dans un jardin près <strong>de</strong> la porte <strong>de</strong> la ville, et l'on partit ventre à terrepour aller passer le Pô près <strong>de</strong> Sacca. Ferrante, avec vingt hommes bien armés, faisaitl'arrière-gar<strong>de</strong>, et avait promis sur sa tête d'arrêter la poursuite. Le <strong>com</strong>te, seul et àpied, ne quitta les environs <strong>de</strong> la cita<strong>de</strong>lle que <strong>de</strong>ux heures plus tard, quand il vit querien ne bougeait. Me voici en haute trahison! se disait-il ivre <strong>de</strong> joie.Ludovic eut l'idée excellente <strong>de</strong> placer dans une voiture un jeune chirurgien attaché àla maison <strong>de</strong> la duchesse, et qui avait beaucoup <strong>de</strong> la tournure <strong>de</strong> Fabrice.223

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