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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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marquise. Elle était restée tellement jeune et naïve au milieu <strong>de</strong> sa haute fortune,qu'elle crut <strong>de</strong>voir réparer la grossièreté avec laquelle le marquis venait d'adresser laparole au Gonzo. Charmé <strong>de</strong> ce succès, celui-ci retrouva toute son éloquence, et se fitun plaisir, non moins qu'un <strong>de</strong>voir, d'entrer avec elle dans <strong>de</strong>s détails infinis.<strong>La</strong> petite Anetta Marini donnait jusqu'à un sequin par place qu'on lui retenait ausermon; elle arrivait toujours avec <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses tantes et l'ancien caissier <strong>de</strong> son père.Ces places, qu'elle faisait gar<strong>de</strong>r dès la veille, étaient choisies en général presque visà-visla chaire, mais un peu du côté du grand autel, car elle avait remarqué que lecoadjuteur se tournait souvent vers l'autel. Or, ce que le public avait remarqué aussi,c'est que non rarement les yeux si parlants du jeune prédicateur s'arrêtaient avec<strong>com</strong>plaisance sur la jeune héritière, cette beauté si piquante; et apparemment avecquelque attention, car, dès qu'il avait les yeux fixés sur elle, son sermon <strong>de</strong>venaitsavant; les citations y abondaient, l'on n'y trouvait plus <strong>de</strong> ces mouvements quipartent du coeur; et les dames, pour qui l'intérêt cessait presque aussitôt, semettaient à regar<strong>de</strong>r la Marini et à en médire.Clélia se fit répéter jusqu'à trois fois tous ces détails singuliers. À la troisième, elle<strong>de</strong>vint fort rêveuse; elle calculait qu'il y avait justement quatorze mois qu'elle n'avaitvu Fabrice. Y aurait-il un bien grand mal, se disait-elle, à passer une heure dans uneéglise, non pour voir Fabrice, mais pour entendre un prédicateur célèbre? D'ailleurs, jeme placerai loin <strong>de</strong> la chaire, et je ne regar<strong>de</strong>rai Fabrice qu'une fois en entrant et uneautre fois à la fin du sermon... Non, se disait Clélia, ce n'est pas Fabrice que je vaisvoir, je vais entendre le prédicateur étonnant! Au milieu <strong>de</strong> tous ces raisonnements, lamarquise avait <strong>de</strong>s remords; sa conduite avait été si belle <strong>de</strong>puis quatorze mois! Enfin,se dit-elle, pour trouver quelque paix avec elle-même, si la première femme quiviendra ce soir a été entendre prêcher monsignore <strong>de</strong>l Dongo, j'irai aussi; si elle n'yest point allée, je m'abstiendrai.Une fois ce parti pris, la marquise fit le bonheur du Gonzo en lui disant:- Tâchez <strong>de</strong> savoir quel jour le coadjuteur prêchera, et dans quelle église? Ce soir,avant que vous ne sortiez, j'aurai peut-être une <strong>com</strong>mission à vous donner.À peine Gonzo parti pour le Corso, Clélia alla prendre l'air dans le jardin <strong>de</strong> son palais.Elle ne se fit pas l'objection que <strong>de</strong>puis dix mois elle n'y avait pas mis les pieds. Elleétait vive, animée; elle avait <strong>de</strong>s couleurs. Le soir, à chaque ennuyeux qui entrait dansle salon, son coeur palpitait d'émotion. Enfin on annonça le Gonzo, qui, du premiercoup d'oeil, vit qu'il allait être l'homme nécessaire pendant huit jours; la marquise estjalouse <strong>de</strong> la petite Marini, et ce serait, ma foi, une <strong>com</strong>édie bien montée, se dit-il,que celle dans laquelle la marquise jouerait le premier rôle, la petite Anetta lasoubrette, et monsignore <strong>de</strong>l Dongo l'amoureux! Ma foi, le billet d'entrée ne serait pastrop payé à <strong>de</strong>ux francs. Il ne se sentait pas <strong>de</strong> joie, et, pendant toute la soirée, ilcoupait la parole à tout le mon<strong>de</strong> et racontait les anecdotes les plus saugrenues (parexemple, la célèbre actrice et le marquis <strong>de</strong> Pequigny, qu'il avait apprise la veille d'unvoyageur français). <strong>La</strong> marquise, <strong>de</strong> son côté, ne pouvait tenir en place; elle sepromenait dans le salon, elle passait dans une galerie voisine du salon, où le marquisn'avait admis que <strong>de</strong>s tableaux coûtant chacun plus <strong>de</strong> vingt mille francs. Ces tableauxavaient un langage si clair ce soir-là qu'ils fatiguaient le coeur <strong>de</strong> la marquise à forced'émotion. Enfin, elle entendit ouvrir les <strong>de</strong>ux battants, elle courut au salon; c'était lamarquise Raversi! Mais en lui adressant les <strong>com</strong>pliments d'usage, Clélia sentait que lavoix lui manquait. <strong>La</strong> marquise lui fit répéter <strong>de</strong>ux fois la question:- Que dites-vous du prédicateur à la mo<strong>de</strong>? qu'elle n'avait point entendue d'abord.287

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