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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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particulière du palais qui fournit vos repas. Je ne sais rien <strong>de</strong> sûr, mais ma femme <strong>de</strong>chambre croit que cette figure atroce ne vient dans les cuisines du palais que dans le<strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> vous ôter la vie. Je mourais d'inquiétu<strong>de</strong> ne vous voyant point paraître, jevous croyais mort. Abstenez-vous <strong>de</strong> tout aliment jusqu'à nouvel avis, je vais fairel'impossible pour vous faire parvenir quelque peu <strong>de</strong> chocolat. Dans tous les cas, cesoir à neuf heures, si la bonté du Ciel veut que vous ayez un fil, ou que vous puissiezformer un ruban avec votre linge, laissez-le <strong>de</strong>scendre <strong>de</strong> votre fenêtre sur lesorangers, j'y attacherai une cor<strong>de</strong> que vous retirerez à vous, et à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> cette cor<strong>de</strong>je vous ferai passer du pain et du chocolat. "Fabrice avait conservé <strong>com</strong>me un trésor le morceau <strong>de</strong> charbon qu'il avait trouvé dansle poêle <strong>de</strong> sa chambre: il se hâta <strong>de</strong> profiter <strong>de</strong> l'émotion <strong>de</strong> Clélia, et d'écrire sur samain une suite <strong>de</strong> lettres dont l'apparition successive formait ces mots:" Je vous aime, et la vie ne m'est précieuse que parce que je vous vois; surtoutenvoyez-moi du papier et un crayon. "Ainsi que Fabrice l'avait espéré, l'extrême terreur qu'il lisait dans les traits <strong>de</strong> Cléliaempêcha la jeune fille <strong>de</strong> rompre l'entretien après ce mot si hardi, je vous aime; ellese contenta <strong>de</strong> témoigner beaucoup d'humeur. Fabrice eut l'esprit d'ajouter: Par legrand vent qu'il fait aujourd'hui, je n'entends que fort imparfaitement les avis quevous daignez me donner en chantant, le son du piano couvre la voix. Qu'est-ce quec'est, par exemple, que ce poison dont vous me parlez?À ce mot, la terreur <strong>de</strong> la jeune fille reparut tout entière; elle se mit à la hâte à tracer<strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s lettres à l'encre sur les pages d'un livre qu'elle déchira, et Fabrice futtransporté <strong>de</strong> joie en voyant enfin établi, après trois mois <strong>de</strong> soins, ce moyen <strong>de</strong>correspondance qu'il avait si vainement sollicité. Il n'eut gar<strong>de</strong> d'abandonner la petiteruse qui lui avait si bien réussi, il aspirait à écrire <strong>de</strong>s lettres, et feignait à chaqueinstant <strong>de</strong> ne pas bien saisir les mots dont Clélia exposait successivement à ses yeuxtoutes les lettres.Elle fut obligée <strong>de</strong> quitter la volière pour courir auprès <strong>de</strong> son père; elle craignait par<strong>de</strong>ssustout qu'il ne vînt l'y chercher; son génie soupçonneux n'eût point été contentdu grand voisinage <strong>de</strong> la fenêtre <strong>de</strong> cette volière et <strong>de</strong> l'abat-jour qui masquait celledu prisonnier. Clélia elle-même avait eu l'idée quelques moments auparavant, lorsquela non-apparition <strong>de</strong> Fabrice la plongeait dans une si mortelle inquiétu<strong>de</strong>, que l'onpourrait jeter une petite pierre enveloppée d'un morceau <strong>de</strong> papier vers la partiesupérieure <strong>de</strong> cet abat-jour; si le hasard voulait qu'en cet instant le geôlier chargé <strong>de</strong>la gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> Fabrice ne se trouvât pas dans sa chambre, c'était un moyen <strong>de</strong>correspondance certain.Notre prisonnier se hâta <strong>de</strong> construire une sorte <strong>de</strong> ruban avec du linge; et le soir, unpeu après neuf heures, il entendit fort bien <strong>de</strong> petits coups frappés sur les caisses <strong>de</strong>sorangers qui se trouvaient sous sa fenêtre; il laissa glisser son ruban qui lui ramenaune petite cor<strong>de</strong> fort longue, à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> laquelle il retira d'abord une provision <strong>de</strong>chocolat, et ensuite, à son inexprimable satisfaction, un rouleau <strong>de</strong> papier et uncrayon. Ce fut en vain qu'il tendit la cor<strong>de</strong> ensuite, il ne reçut plus rien; apparemmentque les sentinelles s'étaient rapprochées <strong>de</strong>s orangers. Mais il était ivre <strong>de</strong> joie. Il sehâta d'écrire une lettre infinie à Clélia: à peine fut-elle terminée qu'il l'attacha à sacor<strong>de</strong> et la <strong>de</strong>scendit. Pendant plus <strong>de</strong> trois heures il attendit vainement qu'on vînt laprendre, et plusieurs fois la retira pour y faire <strong>de</strong>s changements. Si Clélia ne voit pasma lettre ce soir, se disait-il, tandis qu'elle est encore émue par ses idées <strong>de</strong> poison,peut-être <strong>de</strong>main matin rejettera-t-elle bien loin l'idée <strong>de</strong> recevoir une lettre.190

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