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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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changement si extraordinaire, Fabrice aperçut le reflet <strong>de</strong> quelque ferme résolution. Àchaque instant <strong>de</strong> la journée, se disait-il, elle se jure à elle-même d'être fidèle au voeuqu'elle a fait à la Madone, et <strong>de</strong> ne jamais me revoir.Fabrice ne <strong>de</strong>vinait qu'en partie les malheurs <strong>de</strong> Clélia; elle savait que son père,tombé dans une profon<strong>de</strong> disgrâce, ne pouvait rentrer à <strong>Parme</strong> et reparaître à la cour(chose sans laquelle la vie était impossible pour lui) que le jour <strong>de</strong> son mariage avec lemarquis <strong>de</strong> Crescenzi, elle écrivit à son père qu'elle désirait ce mariage. Le généralétait alors réfugié à Turin, et mala<strong>de</strong> <strong>de</strong> chagrin. À la vérité, le contrecoup <strong>de</strong> cettegran<strong>de</strong> résolution avait été <strong>de</strong> la vieillir <strong>de</strong> dix ans.Elle avait fort bien découvert que Fabrice avait une fenêtre vis-à-vis le palaisContarini; mais elle n'avait eu le malheur <strong>de</strong> le regar<strong>de</strong>r qu'une fois; dès qu'elleapercevait un air <strong>de</strong> tête ou une tournure d'homme ressemblant un peu à la sienne,elle fermait les yeux à l'instant. Sa piété profon<strong>de</strong> et sa confiance dans le secours <strong>de</strong>la Madone étaient désormais ses seules ressources. Elle avait la douleur <strong>de</strong> ne pasavoir d'estime pour son père: le caractère <strong>de</strong> son futur mari lui semblait parfaitementplat et à la hauteur <strong>de</strong>s façons <strong>de</strong> sentir du grand mon<strong>de</strong>; enfin, elle adorait unhomme qu'elle ne <strong>de</strong>vait jamais revoir, et qui pourtant avait <strong>de</strong>s droits sur elle. Cetensemble <strong>de</strong> <strong>de</strong>stinée lui semblait le malheur parfait, et nous avouerons qu'elle avaitraison. Il eût fallu, après son mariage, aller vivre à <strong>de</strong>ux cents lieues <strong>de</strong> <strong>Parme</strong>.Fabrice connaissait la profon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>stie <strong>de</strong> Clélia; il savait <strong>com</strong>bien toute entrepriseextraordinaire, et pouvant faire anecdote, si elle était découverte, était assurée <strong>de</strong> luidéplaire. Toutefois, poussé à bout par l'excès <strong>de</strong> sa mélancolie et par ces regards <strong>de</strong>Clélia qui constamment se détournaient <strong>de</strong> lui, il osa essayer <strong>de</strong> gagner <strong>de</strong>uxdomestiques <strong>de</strong> Mme Contarini, sa tante. Un jour, à la tombée <strong>de</strong> la nuit, Fabrice,habillé <strong>com</strong>me un bourgeois <strong>de</strong> campagne, se présenta à la porte du palais, oùl'attendait l'un <strong>de</strong>s domestiques gagnés par lui; il s'annonça <strong>com</strong>me arrivant <strong>de</strong> Turin,et ayant pour Clélia <strong>de</strong>s lettres <strong>de</strong> son père. Le domestique alla porter son message, etle fit monter dans une immense antichambre, au premier étage du palais. C'est en celieu que Fabrice passa peut-être le quart d'heure <strong>de</strong> sa vie le plus rempli d'anxiété. SiClélia le repoussait, il n'y avait plus pour lui d'espoir <strong>de</strong> tranquillité. Afin <strong>de</strong> coupercourt aux soins importuns dont m'accable ma nouvelle dignité, j'ôterai à l'Église unmauvais prêtre, et, sous un nom supposé, j'irai me réfugier dans quelque chartreuse.Enfin le domestique vint lui annoncer que Mlle Clélia Conti était disposée à le recevoir.Le courage manqua tout à fait à notre héros; il fut sur le point <strong>de</strong> tomber <strong>de</strong> peur enmontant l'escalier du second étage.Clélia était assise <strong>de</strong>vant une petite table qui portait une seule bougie. À peine elle eutreconnu Fabrice sous son déguisement, qu'elle prit la fuite et alla se cacher au fond dusalon.-Voilà <strong>com</strong>ment vous êtes soigneux <strong>de</strong> mon salut, lui cria-t-elle, en se cachant lafigure avec les mains. Vous le savez pourtant, lorsque mon père fut sur le point <strong>de</strong>périr par suite du poison, je fis voeu à la Madone <strong>de</strong> ne jamais vous voir. Je n'aimanqué à ce voeu que ce jour, le plus malheureux <strong>de</strong> ma vie où je crus en conscience<strong>de</strong>voir vous soustraire à la mort. C'est déjà beaucoup que, par une interprétationforcée et sans doute criminelle, je consente à vous entendre.Cette <strong>de</strong>rnière phrase étonna tellement Fabrioe, qu'il lui fallut quelques secon<strong>de</strong>s pours'en réjouir. Il s'était attendu à la plus vive colère, et à voir Clélia enfuir; enfin laprésence d'esprit lui revint et il éteignit la bougie unique. Quoiqu'il crût avoir bien<strong>com</strong>pris les ordres <strong>de</strong> Clélia, il était tout tremblant en avançant vers le fond du salon267

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