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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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Il était fort important toutefois d'avoir le <strong>de</strong>rnier mot du baron. Les amis <strong>de</strong> la<strong>com</strong>tesse lui rappelèrent un certain chanoine Borda, jeune homme fort aimable, quijadis avait voulu lui faire la cour, et avec d'assez vilaines façons; ne pouvant réussir, ilavait dénoncé son amitié pour Limercati au général Pietranera, sur quoi il avait étéchassé <strong>com</strong>me un vilain. Or maintenant ce chanoine faisait tous les soirs la partie <strong>de</strong>tarots <strong>de</strong> la baronne Bin<strong>de</strong>r, et naturellement était l'ami intime du mari. <strong>La</strong> <strong>com</strong>tessese décida à la démarche horriblement pénible d'aller voir ce chanoine; et le len<strong>de</strong>mainmatin <strong>de</strong> bonne heure, avant qu'il sortît <strong>de</strong> chez lui, elle se fit annoncer.Lorsque le domestique unique du chanoine prononça le nom <strong>de</strong> la <strong>com</strong>tessePietranera, cet homme fut ému au point d'en perdre la voix; il ne chercha point àréparer le désordre d'un négligé fort simple.- Faites entrer et allez-vous-en, dit-il d'une voix éteinte. <strong>La</strong> <strong>com</strong>tesse entra; Borda sejeta à genoux.- C'est dans cette position qu'un malheureux fou doit recevoir vos ordres, dit-il à la<strong>com</strong>tesse qui ce matin-là, dans son négligé à <strong>de</strong>mi-déguisement, était d'un piquantirrésistible. Le profond chagrin <strong>de</strong> l'exil <strong>de</strong> Fabrice, la violence qu'elle se faisait pourparaître chez un homme qui en avait agi traîtreusement avec elle, tout se réunissaitpour donner à son regard un éclat incroyable.- C'est dans cette position que je veux recevoir vos ordres, s'écria le chanoine, car ilest évi<strong>de</strong>nt que vous avez quelque service à me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, autrement vous n'auriezpas honoré <strong>de</strong> votre présence la pauvre maison d'un malheureux fou: jadis transportéd'amour et <strong>de</strong> jalousie, il se conduisit avec vous <strong>com</strong>me un lâche, une fois qu'il vit qu'ilne pouvait vous plaire.Ces paroles étaient sincères et d'autant plus belles que le chanoine jouissaitmaintenant d'un grand pouvoir: la <strong>com</strong>tesse en fut touchée jusqu'aux larmes;l'humiliation, la crainte glaçaient son âme, en un instant l'attendrissement et un peud'espoir leur succédaient. D'un état fort malheureux elle passait en un clin d'oeilpresque au bonheur.- Baise ma main, dit-elle au chanoine en la lui présentant, et lève-toi. (Il faut savoirqu'en Italie le tutoiement indique la bonne et franche amitié tout aussi bien qu'unsentiment plus tendre.) Je viens te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r grâce pour mon neveu Fabrice. Voici lavérité <strong>com</strong>plète et sans le moindre déguisement <strong>com</strong>me on la dit à un vieil ami. Àseize ans et <strong>de</strong>mi il vient <strong>de</strong> faire une insigne folie; nous étions au château <strong>de</strong> Grianta,sur le lac <strong>de</strong> Côme. Un soir, à sept heures nous avons appris, par un bateau <strong>de</strong> Côme,le débarquement <strong>de</strong> l'Empereur au golfe <strong>de</strong> Juan. Le len<strong>de</strong>main matin Fabrice est partipour la France, après s'être fait donner le passeport d'un <strong>de</strong> ses amis du peuple, unmarchand <strong>de</strong> baromètres nommé Vasi. Comme il n'a pas l'air précisément d'unmarchand <strong>de</strong> baromètres, à peine avait-il fait dix lieues en France, que sur sa bonnemine on l'a arrêté; ses élans d'enthousiasme en mauvais français semblaient suspects.Au bout <strong>de</strong> quelque temps il s'est sauvé et a pu gagner Genève; nous avons envoyé àsa rencontre à Lugano...- C'est-à-dire à Genève, dit le chanoine en souriant. <strong>La</strong> <strong>com</strong>tesse acheva l'histoire.-Je ferai pour vous tout ce qui est humainement possible, reprit le chanoine aveceffusion; je me mets entièrement à vos ordres. Je ferai même <strong>de</strong>s impru<strong>de</strong>nces,ajouta-t-il. Dites, que dois-je faire au moment où ce pauvre salon sera privé <strong>de</strong> cetteapparition céleste, et qui fait époque dans l'histoire <strong>de</strong> ma vie?52

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