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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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une horrible prison, et il se trouvait que sur ce séjour il n'avait à dire que <strong>de</strong>s parolesbrèves et in<strong>com</strong>plètes.Voilà ce qui <strong>de</strong>vait arriver tôt ou tard, se disait la duchesse avec une tristesse sombre.Le chagrin m'a vieillie, ou bien il aime réellement, et je n'ai plus que la secon<strong>de</strong> placedans son coeur. Avilie, atterrée par ce plus grand <strong>de</strong>s chagrins possibles, la duchessese disait quelquefois: Si le ciel voulait que Ferrante fût <strong>de</strong>venu tout à fait fou oumanquât <strong>de</strong> courage, il me semble que je serais moins malheureuse. Dès ce momentce <strong>de</strong>mi-remords empoisonna l'estime que la duchesse avait pour son proprecaractère. Ainsi, se disait-elle avec amertume, je me repens d'une résolution prise: Jene suis donc plus une <strong>de</strong>l Dongo!Le ciel l'a voulu, reprenait-elle: Fabrice est amoureux, et <strong>de</strong> quel droit voudrais-je qu'ilne fût pas amoureux? Une seule parole d'amour véritable a-t-elle jamais été échangéeentre nous?Cette idée si raisonnable lui ôta le sommeil, et enfin ce qui montrait que la vieillesse etl'affaiblissement <strong>de</strong> l'âme étaient arrivées pour elle avec la perspective d'une illustrevengeance, elle était cent fois plus malheureuse à Belgirate qu'à <strong>Parme</strong>. Quant à lapersonne qui pouvait causer l'étrange rêverie <strong>de</strong> Fabrice, il n'était guère possibled'avoir <strong>de</strong>s doutes raisonnables: Clélia Conti, cette fille si pieuse, avait trahi son pèrepuisqu'elle avait consenti à enivrer la garnison, et jamais Fabrice ne parlait <strong>de</strong> Clélia!Mais, ajoutait la duchesse se frappant la poitrine avec désespoir, si la garnison n'eûtpas été enivrée, toutes mes inventions, tous mes soins <strong>de</strong>venaient inutiles; ainsi c'estelle qui l'a sauvé!C'était avec une extrême difficulté que la duchesse obtenait <strong>de</strong> Fabrice <strong>de</strong>s détails surles événements <strong>de</strong> cette nuit, qui, se disait la duchesse, autrefois eût formé entrenous le sujet d'un entretien sans cesse renaissant! Dans ces temps fortunés, il eûtparlé tout un jour et avec une verve et une gaieté sans cesse renaissantes sur lamoindre bagatelle que je m'avisais <strong>de</strong> mettre en avant.Comme il fallait tout prévoir, la duchesse avait établi Fabrice au port <strong>de</strong> Locarno, villesuisse à l'extrémité du lac Majeur. Tous les jours elle allait le prendre en bateau pour<strong>de</strong> longues promena<strong>de</strong>s sur le lac. Eh bien! une fois qu'elle s'avisa <strong>de</strong> monter chez lui,elle trouva sa chambre tapissée d'une quantité <strong>de</strong> vues <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> <strong>Parme</strong> qu'il avaitfait venir <strong>de</strong> Milan ou <strong>de</strong> <strong>Parme</strong> même, pays qu'il aurait dû tenir en abomination. Sonpetit salon, changé en atelier, était en<strong>com</strong>bré <strong>de</strong> tout l'appareil d'un peintre àl'aquarelle, et elle le le trouva finissant une troisième vue <strong>de</strong> la tour Farnèse et dupalais du gouverneur.- Il ne te manque plus, lui dit-elle d'un air piqué, que <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> souvenir le portrait<strong>de</strong> cet aimable gouverneur qui voulait seulement t'empoisonner. Mais j'y songe,continua la duchesse, tu <strong>de</strong>vrais lui écrire une lettre d'excuses d'avoir pris la liberté <strong>de</strong>te sauver et <strong>de</strong> donner un ridicule à sa cita<strong>de</strong>lle.<strong>La</strong> pauvre femme ne croyait pas dire si vrai: à peine arrivé en lieu <strong>de</strong> sûreté, lepremier soin <strong>de</strong> Fabrice avait été d'écrire au général Fabio Conti une lettreparfaitement polie et dans un certain sens bien ridicule; il lui <strong>de</strong>mandait pardon <strong>de</strong>s'être sauvé, alléguant pour excuse qu'il avait pu croire que certain subalterne <strong>de</strong> laprison avait été chargé <strong>de</strong> lui administrer du poison. Peu lui importait ce qu'il écrivait,Fabrice espérait que les yeux <strong>de</strong> Clélia verraient cette lettre, et sa figure était couverte<strong>de</strong> larmes en l'écrivant. Il la termina par une phrase bien plaisante: il osait dire que,se trouvant en liberté, souvent il lui arrivait <strong>de</strong> regretter sa petite chambre <strong>de</strong> la tour228

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