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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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pure vergogne, décampons. Fabrice allait partir au premier moment d'humeur,lorsqu'il apprit que la Fausta <strong>de</strong>vait chanter chez la duchesse Sanseverina; peut-êtreque cette voix sublime achèvera d'enflammer mon coeur, se dit-il; et il osa biens'introduire déguisé dans ce palais où tous les yeux le connaissaient. Qu'on juge <strong>de</strong>l'émotion <strong>de</strong> la duchesse, lorsque tout à fait vers la fin du concert elle remarqua unhomme en livrée <strong>de</strong> chasseur, <strong>de</strong>bout près <strong>de</strong> la porte du grand salon; cette tournurerappelait quelqu'un. Elle chercha le <strong>com</strong>te Mosca qui seulement alors lui appritl'insigne et vraiment incroyable folie <strong>de</strong> Fabrice. Il la prenait très bien. Cet amour pourune autre que la duchesse lui plaisait fort, le <strong>com</strong>te, parfaitement galant homme hors<strong>de</strong> la politique, agissait d'après cette maxime qu'il ne pouvait trouver le bonheurqu'autant que la duchesse serait heureuse. Je le sauverai <strong>de</strong> lui-même, dit-il à sonamie; jugez <strong>de</strong> la joie <strong>de</strong> nos ennemis si on l'arrêtait dans ce palais! Aussi ai-je ici plus<strong>de</strong> cent hommes à moi, et c'est pour cela que je vous ai fait <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r les clefs dugrand château d'eau. Il se porte pour amoureux fou <strong>de</strong> la Fausta, et jusqu'ici ne peutl'enlever au <strong>com</strong>te M*** qui donne à cette folle une existence <strong>de</strong> reine. <strong>La</strong>physionomie <strong>de</strong> la duchesse trahit la plus vive douleur: Fabrice n'était donc qu'unlibertin tout à fait incapable d'un sentiment tendre et sérieux.- Et ne pas nous voir! c'est ce que jamais je ne pourrai lui pardonner! dit-elle enfin; etmoi qui lui écris tous les jours à Bologne!- J'estime fort sa retenue, répliqua le <strong>com</strong>te, il ne veut pas nous <strong>com</strong>promettre parson équipée, et il sera plaisant <strong>de</strong> la lui entendre raconter.<strong>La</strong> Fausta était trop folle pour savoir taire ce qui l'occupait: le len<strong>de</strong>main du concert,dont ses yeux avaient adressé tous les airs à ce grand jeune homme habillé enchasseur, elle parla au <strong>com</strong>te M*** d'un attentif inconnu. - Où le voyez-vous? dit le<strong>com</strong>te furieux.- Dans les rues, à l'église, répondit la Fausta interdite. Aussitôt ellevoulut réparer son impru<strong>de</strong>nce ou du moins éloigner tout ce qui pouvait rappelerFabrice: elle se jeta dans une <strong>de</strong>scription infinie d'un grand jeune homme à cheveuxrouges, il avait <strong>de</strong>s yeux bleus; sans doute c'était quelque Anglais fort riche et fortgauche, ou quelque prince. À ce mot, le <strong>com</strong>te M***, qui ne brillait pas par la justesse<strong>de</strong>s aperçus, alla se figurer, chose délicieuse pour sa vanité, que ce rival n'était autreque le prince héréditaire <strong>de</strong> <strong>Parme</strong>. Ce pauvre jeune homme mélancolique, gardé parcinq ou six gouverneurs, sous-gouverneurs, précepteurs, etc., etc., qui ne le laissaientsortir qu'après avoir tenu conseil, lançait d'étranges regards sur toutes les femmespassables qu'il lui était permis d'approcher. Au concert <strong>de</strong> la duchesse, son rang l'avaitplacé en avant <strong>de</strong> tous les auditeurs, sur un fauteuil isolé, à trois pas <strong>de</strong> la belleFausta, et ses regards avaient souverainement choqué le <strong>com</strong>te M***. Cette folied'exquise vanité: avoir un prince pour rival, amusa fort la Fausta qui se fit un plaisir<strong>de</strong> la confirmer par cent détails naïvement donnés.- Votre race, disait-elle au <strong>com</strong>te, est aussi ancienne que celle <strong>de</strong>s Farnèse à laquelleappartient ce jeune homme?- Que voulez-vous dire? aussi ancienne! Moi je n'ai point <strong>de</strong> bâtardise dans ma famille.Le hasard voulut que jamais le <strong>com</strong>te M*** ne dût voir à son aise ce rival prétendu;ce qui le confirma dans l'idée flatteuse d'avoir un prince pour antagoniste. En effet,quand les intérêts <strong>de</strong> son entreprise n'appelaient point Fabrice à <strong>Parme</strong>, il se tenaitdans les bois vers Sacca et les bords du Pô. Le <strong>com</strong>te M*** était bien plus fier, maisaussi plus pru<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>puis qu'il se croyait en passe <strong>de</strong> disputer le coeur <strong>de</strong> la Fausta àun prince; il la pria fort sérieusement <strong>de</strong> mettre la plus gran<strong>de</strong> retenue dans toutesses démarches. Après s'être jeté à ses genoux en amant jaloux et passionné, il lui129

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