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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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onheur que, dans un temps, elle avait songé à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à la vie religieuse. Elle étaitsaisie d'une sorte d'horreur à la seule pensée <strong>de</strong> mettre sa chère solitu<strong>de</strong> et sespensées intimes à la disposition d'un jeune homme, que le titre <strong>de</strong> mari autoriserait àtroubler toute cette vie intérieure. Si par la solitu<strong>de</strong> elle n'atteignait pas au bonheur,du moins elle était parvenue à éviter les sensations trop douloureuses.Le jour où Fabrice fut conduit à la forteresse, la duchesse rencontra Clélia à la soiréedu ministre <strong>de</strong> l'intérieur, <strong>com</strong>te Zurla; tout le mon<strong>de</strong> faisait cercle autour d'elles: cesoir-là, la beauté <strong>de</strong> Clélia l'emportait sur celle <strong>de</strong> la duchesse. Les yeux <strong>de</strong> la jeunefille avaient une expression si singulière et si profon<strong>de</strong> qu'ils en étaient presqueindiscrets: il y avait <strong>de</strong> la pitié, il y avait aussi <strong>de</strong> l'indignation et <strong>de</strong> la colère dans sesregards. <strong>La</strong> gaieté et les idées brillantes <strong>de</strong> la duchesse semblaient jeter Clélia dans<strong>de</strong>s moments <strong>de</strong> douleur allant jusqu'à l'horreur. Quels vont être les cris et lesgémissements <strong>de</strong> la pauvre femme, se disait-elle, lorsqu'elle va savoir que son amant,ce jeune homme d'un si grand coeur et d'une physionomie si noble, vient d'être jetéen prison! Et ces regards du souverain qui le condamnent à mort! O pouvoir absolu,quand cesseras-tu <strong>de</strong> peser sur l'Italie! O âmes vénales et basses! Et je suis fille d'ungeôlier! et je n'ai point démenti ce noble caractère en ne daignant pas répondre àFabrice! et autrefois il fut mon bienfaiteur! Que pense-t-il <strong>de</strong> moi à cette heure, seuldans sa chambre et en tête à tête avec sa petite lampe? Révoltée par cette idée, Cléliajetait <strong>de</strong>s regards d'horreur sur la magnifique illumination <strong>de</strong>s salons du ministre <strong>de</strong>l'intérieur.Jamais, se disait-on dans le cercle <strong>de</strong> courtisans qui se formait autour <strong>de</strong>s <strong>de</strong>uxbeautés à la mo<strong>de</strong>, et qui cherchait à se mêler à leur conversation, jamais elles ne sesont parlé d'un air si animé et en même temps si intime. <strong>La</strong> duchesse, toujoursattentive à conjurer les haines excitées par le premier ministre, aurait-elle songé àquelque grand mariage en faveur <strong>de</strong> la Clélia? Cette conjecture était appuyée sur unecirconstance qui jusque-là ne s'était jamais présentée à l'observation <strong>de</strong> la cour: lesyeux <strong>de</strong> la jeune fille avaient plus <strong>de</strong> feu, et même, si l'on peut ainsi dire, plus <strong>de</strong>passion que ceux <strong>de</strong> la belle duchesse. Celle-ci, <strong>de</strong> son côté, était étonnée, et, l'onpeut dire à sa gloire, ravie <strong>de</strong>s grâces si nouvelles qu'elle découvrait dans la jeunesolitaire; <strong>de</strong>puis une heure elle la regardait avec un plaisir assez rarement senti à lavue d'une rivale. Mais que se passe-t-il donc? se <strong>de</strong>mandait la duchesse; jamais Clélian'a été aussi belle, et l'on peut dire aussi touchante: son coeur aurait-il parlé?... Maisen ce cas-là, certes, c'est <strong>de</strong> l'amour malheureux , il y a <strong>de</strong> la sombre douleur au fond<strong>de</strong> cette animation si nouvelle... Mais l'amour malheureux se tait! S'agirait-il <strong>de</strong>ramener un inconstant par un succès dans le mon<strong>de</strong>? Et la duchesse regardait avecattention les jeunes gens qui les environnaient. Elle ne voyait nulle part d'expressionsingulière, c'était toujours <strong>de</strong> la fatuité plus ou moins contente. Mais il y a du miracleici, se disait la duchesse, piquée <strong>de</strong> ne pas <strong>de</strong>viner. Où est le <strong>com</strong>te Mosca, cet être sifin? Non, je ne me trompe point, Clélia me regar<strong>de</strong> avec attention et <strong>com</strong>me si j'étaispour elle l'objet d'un intérêt tout nouveau. Est-ce l'effet <strong>de</strong> quelque ordre donné parson père, ce vil courtisan? Je croyais cette âme noble et jeune incapable <strong>de</strong> se ravalerà <strong>de</strong>s intérêts d'argent. Le général Fabio Conti aurait-il quelque <strong>de</strong>man<strong>de</strong> décisive àfaire au <strong>com</strong>te?Vers les dix heures, un ami <strong>de</strong> la duchesse s'approcha et lui dit <strong>de</strong>ux mots à voixbasse; elle pâlit excessivement; Clélia lui prit la main et osa la lui serrer.- Je vous remercie et je vous <strong>com</strong>prends maintenant... vous avez une belle âme! dit laduchesse, faisant effort sur elle-même; elle eut à peine la force <strong>de</strong> prononcer ce peu<strong>de</strong> mots. Elle adressa beaucoup <strong>de</strong> sourires à la maîtresse <strong>de</strong> la maison qui se levapour l'ac<strong>com</strong>pagner jusqu'à la porte du <strong>de</strong>rnier salon: ces honneurs n'étaient dus qu'à155

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