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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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première nuit en prison encore! Je conçois que Clélia Conti se plaise dans cettesolitu<strong>de</strong> aérienne; on est ici à mille lieues au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s petitesses et <strong>de</strong>sméchancetés qui nous occupent là-bas. Si ces oiseaux qui sont là sous ma fenêtre luiappartiennent, je la verrai... Rougira-t-elle en m'apercevant? Ce fut en discutant cettegran<strong>de</strong> question que le prisonnier trouva le sommeil à une heure fort avancée <strong>de</strong> lanuit.Dès le len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> cette nuit, la première passée en prison, et durant laquelle il nes'impatienta pas une seule fois, Fabrice fut réduit à faire la conversation avec Fox lechien anglais; Grillo le geôlier lui faisait bien toujours <strong>de</strong>s yeux fort aimables, mais unordre nouveau le rendait muet, et il n'apportait ni linge ni nébieu.Verrai-je Clélia? se dit Fabrice en s'éveillant. Mais ces oiseaux sont-ils à elle? Lesoiseaux <strong>com</strong>mençaient à jeter <strong>de</strong>s petits cris et à chanter, et à cette élévation c'étaitle seul bruit qui s'entendît dans les airs. Ce fut une sensation pleine <strong>de</strong> nouveauté et<strong>de</strong> plaisir pour Fabrice que ce vaste silence qui régnait à cette hauteur: il écoutait avecravissement les petits gazouillements interrompus et si vifs par lesquels ses voisins lesoiseaux saluaient le jour. S'ils lui appartiennent, elle paraîtra un instant dans cettechambre, là sous ma fenêtre; et tout en examinant les immenses chaînes <strong>de</strong>s Alpes,vis-à-vis le premier étage <strong>de</strong>squelles la cita<strong>de</strong>lle <strong>de</strong> <strong>Parme</strong> semblait s'élever <strong>com</strong>me unouvrage avancé, ses regards revenaient à chaque instant aux magnifiques cages <strong>de</strong>citronnier et <strong>de</strong> bois d'acajou qui, garnies <strong>de</strong> fils dorés, s'élevaient au milieu <strong>de</strong> lachambre fort claire, servant <strong>de</strong> volière. Ce que Fabrice n'apprit que plus tard, c'est quecette chambre était la seule du second étage du palais qui eût <strong>de</strong> l'ombre <strong>de</strong> onzeheures à quatre; elle était abritée par la tour Farnèse.Quel ne va pas être mon chagrin, se dit Fabrice, si au lieu <strong>de</strong> cette physionomiecéleste et pensive que j'attends et qui rougira peut-être un peu si elle m'aperçoit, jevois arriver la grosse figure <strong>de</strong> quelque femme <strong>de</strong> chambre bien <strong>com</strong>mune, chargéepar procuration <strong>de</strong> soigner les oiseaux! Mais si je vois Clélia, daignera-t-ellem'apercevoir? Ma foi, il faut faire <strong>de</strong>s indiscrétions pour être remarqué; ma situationdoit avoir quelques privilèges; d'ailleurs nous sommes tous <strong>de</strong>ux seuls ici et si loin dumon<strong>de</strong>! Je suis un prisonnier, apparemment ce que le général Conti et les autresmisérables <strong>de</strong> cette espèce appellent un <strong>de</strong> leurs subordonnés... Mais elle a tantd'esprit, ou pour mieux dire tant d'âme, <strong>com</strong>me le suppose le <strong>com</strong>te, que peut-être àce qu'il dit, méprise-t-elle le métier <strong>de</strong> son père; <strong>de</strong> là viendrait sa mélancolie! Noblecause <strong>de</strong> tristesse! Mais après tout, je ne suis point précisément un étranger pour elle.Avec quelle grâce pleine <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>stie elle m'a salué hier soir! Je me souviens fort bienque lors <strong>de</strong> notre rencontre près <strong>de</strong> Côme je lui dis: Un jour je viendrai voir vos beauxtableaux <strong>de</strong> <strong>Parme</strong>, vous souviendrez-vous <strong>de</strong> ce nom: Fabrice <strong>de</strong>l Dongo? L'aura-telleoublié? elle était si jeune alors!Mais à propos, se dit Fabrice étonné en interrompant tout à coup le cours <strong>de</strong> sespensées, j'oublie d'être en colère! Serais-je un <strong>de</strong> ces grands courages <strong>com</strong>mel'antiquité en a montré quelques exemples au mon<strong>de</strong>? Suis-je un héros sans m'endouter? Comment! moi qui avais tant <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> la prison, j'y suis, et je ne mesouviens pas d'être triste! c'est bien le cas <strong>de</strong> dire que la peur a été cent fois pire quele mal. Quoi! j'ai besoin <strong>de</strong> me raisonner pour être affligé <strong>de</strong> cette prison, qui, <strong>com</strong>mele dit Blanès, peut durer dix ans <strong>com</strong>me dix mois? Serait-ce l'étonnement <strong>de</strong> tout cenouvel établissement qui me distrait <strong>de</strong> la peine que je <strong>de</strong>vrais éprouver? Peut-êtreque cette bonne humeur indépendante <strong>de</strong> ma volonté et peu raisonnable cessera toutà coup, peut-être en un instant je tomberai dans le noir malheur que je <strong>de</strong>vraiséprouver.179

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