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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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Altesse s'habillait. Il retourna dans cet entre-sol un peu après que midi eut sonné, il ytrouva le soldat; le prince avait dans sa poche une feuille <strong>de</strong> papier et une écritoire, ildicta au soldat le billet que voici:" Votre Excellence a beaucoup d'esprit, sans doute, et c'est grâce à sa profon<strong>de</strong>sagacité que nous voyons cet État si bien gouverné. Mais, mon cher <strong>com</strong>te, <strong>de</strong> sigrands succès ne marchent point sans un peu d'envie, et je crains fort qu'on ne rie unpeu à vos dépens, si votre sagacité ne <strong>de</strong>vine pas qu'un certain beau jeune homme aeu le bonheur d'inspirer, malgré lui peut-être, un amour <strong>de</strong>s plus singuliers. Cetheureux mortel n'a, dit-on, que vingt-trois ans, et, cher <strong>com</strong>te, ce qui <strong>com</strong>plique laquestion, c'est que vous et moi nous avons beaucoup plus que le double <strong>de</strong> cet âge.Le soir, à une certaine distance, le <strong>com</strong>te est charmant, sémillant, homme d'esprit,aimable au possible; mais le matin, dans l'intimité, à bien prendre les choses, lenouveau venu a peut-être plus d'agréments. Or, nous autres femmes, nous faisonsgrand cas <strong>de</strong> cette fraîcheur <strong>de</strong> la jeunesse, surtout quand nous avons passé latrentaine. Ne parle-t-on pas déjà <strong>de</strong> fixer cet aimable adolescent à notre cour, parquelque belle place? Et quelle est donc la personne qui en parle le plus souvent à votreExcellence? "Le prince prit la lettre et donna <strong>de</strong>ux écus au soldat.- Ceci outre vos appointements, lui dit-il d'un air morne; le silence absolu envers toutle mon<strong>de</strong>, ou bien la plus humi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s basses fosses à la cita<strong>de</strong>lle. Le prince avait dansson bureau une collection d'enveloppes avec les adresses <strong>de</strong> la plupart <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> lacour, <strong>de</strong> la main <strong>de</strong> ce même soldat qui passait pour ne pas savoir écrire, et n'écrivaitjamais même ses rapports <strong>de</strong> police: le prince choisit celle qu'il fallait.Quelques heures plus tard, le <strong>com</strong>te Mosca reçut une lettre par la poste; on avaitcalculé l'heure où elle pourrait arriver, et au moment où le facteur, qu'on avait vuentrer tenant une petite lettre à la main, sortit du palais du ministère, Mosca futappelé chez Son Altesse. Jamais le favori n'avait paru dominé par une plus noiretristesse; pour en jouir plus à l'aise, le prince lui cria en le voyant:- J'ai besoin <strong>de</strong> me délasser en jasant au hasard avec l'ami, et non pas <strong>de</strong> travailleravec le ministre. Je jouis ce soir d'un mal à la tête fou, et <strong>de</strong> plus il me vient <strong>de</strong>s idéesnoires.Faut-il parler <strong>de</strong> l'humeur abominable qui agitait le Premier ministre, <strong>com</strong>te Mosca <strong>de</strong>la Rovère, à l'instant où il lui fut permis <strong>de</strong> quitter son auguste maître? Ranuce-ErnestIV était parfaitement habile dans l'art <strong>de</strong> torturer un coeur, et je pourrais faire ici sanstrop d'injustice la <strong>com</strong>paraison du tigre qui aime à jouer avec sa proie.Le <strong>com</strong>te se fit reconduire chez lui au galop; il cria en passant qu'on ne laissât monterâme qui vive, fit dire à l'auditeur <strong>de</strong> service qu'il lui rendait la liberté (savoir un êtrehumain à portée <strong>de</strong> sa voix lui était odieux), et courut s'enfermer dans la gran<strong>de</strong>galerie <strong>de</strong> tableaux. Là enfin il put se livrer à toute sa fureur; là il passa la soirée sanslumières à se promener au hasard, <strong>com</strong>me un homme hors <strong>de</strong> lui. Il cherchait àimposer silence à son coeur, pour concentrer toute la force <strong>de</strong> son attention dans ladiscussion du parti à prendre. Plongé dans <strong>de</strong>s angoisses qui eussent fait pitié à sonplus cruel ennemi, il se disait: L'homme que j'abhorre loge chez la duchesse, passetous ses moments avec elle. Dois-je tenter <strong>de</strong> faire parler une <strong>de</strong> ses femmes? Rien <strong>de</strong>plus dangereux; elle est si bonne; elle les paie bien! elle en est adorée! (Et <strong>de</strong> qui,grand Dieu, n'est-elle pas adorée!) Voici la question, reprenait-il avec rage:81

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