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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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qu'elle sent pour ce qu'elle aime lui ôte la crainte d'offenser. Fabrice fut d'abord ébloui<strong>de</strong> la beauté <strong>de</strong> Clélia, <strong>de</strong>puis près <strong>de</strong> huit mois il n'avait vu d'aussi près que <strong>de</strong>sgeôliers. Mais le nom du marquis Crescenzi lui rendit toute sa fureur, elle augmentaquand il vit clairement que Clélia ne répondait qu'avec <strong>de</strong>s ménagements pru<strong>de</strong>nts;Clélia elle-même <strong>com</strong>prit qu'elle augmentait les soupçons au lieu <strong>de</strong> les dissiper. Cettesensation fut trop cruelle pour elle.- Serez-vous bien heureux, lui dit-elle avec une sorte <strong>de</strong> colère et les larmes aux yeux,<strong>de</strong> m'avoir fait passer par-<strong>de</strong>ssus tout ce que je me dois à moi-même? Jusqu'au 3août <strong>de</strong> l'année passée, je n'avais éprouvé que <strong>de</strong> l'éloignement pour les hommes quiavaient cherché à me plaire. J'avais un mépris sans bornes et probablement exagérépour le caractère <strong>de</strong>s courtisans, tout ce qui était heureux à cette cour me déplaisait.Je trouvai au contraire <strong>de</strong>s qualités singulières à un prisonnier qui le 3 août fut amenédans cette cita<strong>de</strong>lle. J'éprouvai, d'abord sans m'en rendre <strong>com</strong>pte tous les tourments<strong>de</strong> la jalousie. Les grâces d'une femme charmante, et <strong>de</strong> moi bien connue, étaient <strong>de</strong>scoups <strong>de</strong> poignard pour mon coeur, parce que je croyais, et je crois encore un peu,que ce prisonnier lui était attaché. Bientôt les persécutions du marquis Crescenzi, quiavait <strong>de</strong>mandé ma main, redoublèrent; il est fort riche et nous n'avons aucunefortune; je les repoussais avec une gran<strong>de</strong> liberté d'esprit, lorsque mon père prononçale mot fatal <strong>de</strong> couvent; je <strong>com</strong>pris que si je quittais la cita<strong>de</strong>lle je ne pourrais plusveiller sur la vie du prisonnier dont le sort m'intéressait. Le chef-d'oeuvre <strong>de</strong> mesprécautions avait été que jusqu'à ce moment il ne se doutât en aucune façon <strong>de</strong>saffreux dangers qui menaçaient sa vie. Je m'étais bien promis <strong>de</strong> ne jamais trahir nimon père ni mon secret; mais cette femme d'une activité admirable, d'un espritsupérieur, d'une volonté terrible, qui protège ce prisonnier, lui offrit, à ce que jesuppose, <strong>de</strong>s moyens d'évasion, il les repoussa et voulut me persua<strong>de</strong>r qu'il serefusait à quitter la cita<strong>de</strong>lle pour ne pas s'éloigner <strong>de</strong> moi. Alors je fis une gran<strong>de</strong>faute, je <strong>com</strong>battis pendant cinq jours, j'aurais dû à l'instant me réfugier au couvent etquitter la forteresse: cette démarche m'offrait un moyen bien simple <strong>de</strong> rompre avecle marquis Crescenzi. Je n'eus point le courage <strong>de</strong> quitter la forteresse et je suis unefille perdue; je me suis attachée à un homme léger: je sais quelle a été sa conduite àNaples; et quelle raison aurais-je <strong>de</strong> croire qu'il aura changé <strong>de</strong> caractère? Enfermédans une prison sévère, il a fait la cour à la seule femme qu'il pût voir, elle a été unedistraction pour son ennui. Comme il ne pouvait lui parler qu'avec <strong>de</strong> certainesdifficultés, cet amusement a pris la fausse apparence d'une passion. Ce prisonniers'étant fait un nom dans le mon<strong>de</strong> par son courage, il s'imagine prouver que sonamour est mieux qu'un simple goût passager, en s'exposant à d'assez grands périlspour continuer à voir la personne qu'il croit aimer. Mais dès qu'il sera dans une gran<strong>de</strong>ville, entouré <strong>de</strong> nouveau <strong>de</strong>s séductions <strong>de</strong> la société, il sera <strong>de</strong> nouveau ce qu'il atoujours été, un homme du mon<strong>de</strong> adonné aux dissipations, à la galanterie, et sapauvre <strong>com</strong>pagne <strong>de</strong> prison finira ses jours dans un couvent, oubliée <strong>de</strong> cet être léger,et avec le mortel regret <strong>de</strong> lui avoir fait un aveu.Ce discours historique, dont nous ne donnons que les principaux traits, fut <strong>com</strong>me onle pense bien, vingt fois interrompu par Fabrice. Il était éperdument amoureux, aussi ilétait parfaitement convaincu qu'il n'avait jamais aimé avant d'avoir vu Clélia, et que la<strong>de</strong>stinée <strong>de</strong> sa vie était <strong>de</strong> ne vivre que pour elle.Le lecteur se figure sans doute les belles choses qu'il disait, lorsque la femme <strong>de</strong>chambre avertit sa maîtresse que onze heures et <strong>de</strong>mie venaient <strong>de</strong> sonner, et que legénéral pouvait rentrer à tout moment; la séparation fut cruelle.- Je vous vois peut-être pour la <strong>de</strong>rnière fois, dit Clélia au prisonnier: une mesure quiest dans l'intérêt évi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la cabale Raversi peut vous fournir une cruelle façon <strong>de</strong>201

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