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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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Farnèse. C'était là la pensée capitale <strong>de</strong> sa lettre, il espérait que Clélia la<strong>com</strong>prendrait. Dans son humeur écrivante, et dans l'espoir d'être lu par quelqu'un,Fabrice adressa <strong>de</strong>s remerciements à don Cesare, ce bon aumônier qui lui avait prêté<strong>de</strong>s livres <strong>de</strong> théologie. Quelques jours plus tard, Fabrice engagea le petit libraire <strong>de</strong>Locarno à faire le voyage <strong>de</strong> Milan, où ce libraire, ami du célèbre bibliomane Reina,acheta les plus magnifiques éditions qu'il pût trouver <strong>de</strong>s ouvrages prêtés par donCesare. Le bon aumônier reçut ces livres et une belle lettre qui lui disait que, dans <strong>de</strong>smoments d'impatience, peut-être pardonnables à un pauvre prisonnier, on avaitchargé les marges <strong>de</strong> ces livres <strong>de</strong> notes ridicules. On le suppliait en conséquence <strong>de</strong>les remplacer dans sa bibliothèque par les volumes que la plus vive reconnaissance sepermettait <strong>de</strong> lui présenter.Fabrice était bien bon <strong>de</strong> donner le simple nom <strong>de</strong> notes aux griffonnages infinis dontil avait chargé les marges d'un exemplaire in-folio <strong>de</strong>s oeuvres <strong>de</strong> saint Jérôme. Dansl'espoir qu'il pourrait renvoyer ce livre au bon aumônier, et l'échanger contre un autre,il avait écrit jour par jour sur les marges un journal fort exact <strong>de</strong> tout ce qui lui arrivaiten prison; les grands événements n'étaient autre chose que <strong>de</strong>s extases d'amour divin(ce mot divin en remplaçait un autre qu'on n'osait écrire). Tantôt cet amour divinconduisait le prisonnier à un profond désespoir, d'autres fois une voix entendue àtravers les airs rendait quelque espérance et causait <strong>de</strong>s transports <strong>de</strong> bonheur. Toutcela, heureusement, était écrit avec une encre <strong>de</strong> prison, formée <strong>de</strong> vin, <strong>de</strong> chocolat et<strong>de</strong> suie, et don Cesare n'avait fait qu'y jeter un coup d'oeil en replaçant dans sabibliothèque le volume <strong>de</strong> saint Jérôme. S'il en avait suivi les marges, il aurait vuqu'un jour le prisonnier, se croyant empoisonné, se félicitait <strong>de</strong> mourir à moins <strong>de</strong>quarante pas <strong>de</strong> distance <strong>de</strong> ce qu'il avait aimé le mieux dans ce mon<strong>de</strong>. Mais un autreoeil que celui du bon aumônier avait lu cette page <strong>de</strong>puis la fuite. Cette belle idée:Mourir près <strong>de</strong> ce qu'on aime! exprimée <strong>de</strong> cent façons différentes, était suivie d'unsonnet où l'on voyait que l'âme séparée, après <strong>de</strong>s tourments atroces, <strong>de</strong> ce corpsfragile qu'elle avait habité pendant vingt-trois ans, poussée par cet instinct <strong>de</strong> bonheurnaturel à tout ce qui exista une fois, ne remonterait pas au ciel se mêler aux choeurs<strong>de</strong>s anges aussitôt qu'elle serait libre et dans le cas où le jugement terrible luiaccor<strong>de</strong>rait le pardon <strong>de</strong> ses péchés mais que, plus heureuse après la mort qu'ellen'avait été durant la vie, elle irait à quelques pas <strong>de</strong> la prison, où si longtemps elleavait gémi, se réunir à tout ce qu'elle avait aimé au mon<strong>de</strong>. Et ainsi, disait le <strong>de</strong>rniervers du sonnet, j'aurai trouvé mon paradis sur la terre.Quoiqu'on ne parlât <strong>de</strong> Fabrice à la cita<strong>de</strong>lle <strong>de</strong> <strong>Parme</strong> que <strong>com</strong>me d'un traître infâmequi avait violé les <strong>de</strong>voirs les plus sacrés, toutefois le bon prêtre don Cesare fut ravipar la vue <strong>de</strong>s beaux livres qu'un inconnu lui faisait parvenir; car Fabrice avait eul'attention <strong>de</strong> n'écrire que quelques jours après l'envoi, <strong>de</strong> peur que son nom ne fîtrenvoyer tout le paquet avec indignation. Don Cesare ne parla point <strong>de</strong> cette attentionà son frère, qui entrait en fureur au seul nom <strong>de</strong> Fabrice; mais <strong>de</strong>puis la fuite <strong>de</strong> ce<strong>de</strong>rnier, il avait repris toute son ancienne intimité avec son aimable nièce; et <strong>com</strong>me illui avait enseigné jadis quelques mots <strong>de</strong> latin, il lui fit voir les beaux ouvrages qu'ilrecevait. Tel avait été l'espoir du voyageur. Tout à coup Clélia rougit extrêmement,elle venait <strong>de</strong> reconnaître l'écriture <strong>de</strong> Fabrice. De grands morceaux fort étroits <strong>de</strong>papier jaune étaient placés en guise <strong>de</strong> signets en divers endroits du volume. Et<strong>com</strong>me il est vrai <strong>de</strong> dire qu'au milieu <strong>de</strong>s plats intérêts d'argent, et <strong>de</strong> la froi<strong>de</strong>urdécolorée <strong>de</strong>s pensées vulgaires qui remplissent notre vie, les démarches inspirées parune vraie passion manquent rarement <strong>de</strong> produire leur effet; <strong>com</strong>me si une divinitépropice prenait le soin <strong>de</strong> les conduire par la main, Clélia, guidée par cet instinct et parla pensée d'une seule chose au mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong>manda à son oncle <strong>de</strong> <strong>com</strong>parer l'ancienexemplaire <strong>de</strong> saint Jérôme avec celui qu'il venait <strong>de</strong> recevoir. Comment dire sonravissement au milieu <strong>de</strong> la sombre tristesse où l'absence <strong>de</strong> Fabrice l'avait plongée,229

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