La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com
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Le prince, au contraire <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux autres personnages, avait la figure rouge et l'airinquiet; sa main gauche jouait d'une façon convulsive avec la croix attachée au grandcordon <strong>de</strong> son ordre qu'il portait sous l'habit; <strong>de</strong> la main droite il se caressait lementon.- Que faut-il faire? dit-il au <strong>com</strong>te, sans trop savoir ce qu'il faisait lui-même et entraînépar l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> le consulter sur tout.- Je n'en sais rien en vérité, Altesse Sérénissime, répondit le <strong>com</strong>te <strong>de</strong> l'air d'unhomme qui rend le <strong>de</strong>rnier soupir. Il pouvait à peine prononcer les mots <strong>de</strong> saréponse. Le ton <strong>de</strong> cette voix donna au prince la première consolation que son orgueilblessé eût trouvée dans cette audience, et ce petit bonheur lui fournit une phraseheureuse pour son amour-propre.- Eh bien! dit-il, je suis le plus raisonnable <strong>de</strong>s trois; je veux bien faire abstraction<strong>com</strong>plète <strong>de</strong> ma position dans le mon<strong>de</strong>. Je vais parler <strong>com</strong>me un ami, et il ajouta,avec un beau sourire <strong>de</strong> con<strong>de</strong>scendance bien imité <strong>de</strong>s temps heureux <strong>de</strong> Louis XIV,<strong>com</strong>me on ami parlant à <strong>de</strong>s amis: Madame la duchesse, ajouta-t-il, que faut-il fairepour vous faire oublier une résolution intempestive?- En vérité, je n'en sais rien, répondit la duchesse avec un grand soupir, en vérité jen'en sais rien, tant j'ai <strong>Parme</strong> en horreur. Il n'y avait nulle intention d'épigramme dansce mot, on voyait que la sincérité même parlait par sa bouche.Le <strong>com</strong>te se tourna vivement <strong>de</strong> son côté; l'âme du courtisan était scandalisée: puis iladressa au prince un regard suppliant. Avec beaucoup <strong>de</strong> dignité et <strong>de</strong> sang-froid leprince laissa passer un moment; puis s'adressant au <strong>com</strong>te:- Je vois, dit-il, que votre charmante amie est tout à fait hors d'elle-même; c'est toutsimple, elle adore son neveu. Et, se tournant vers la duchesse, il ajouta, avec leregard le plus galant et en même temps <strong>de</strong> l'air que l'on prend pour citer le mot d'une<strong>com</strong>édie: Que faut-il faire pour plaire à ces beaux yeux?<strong>La</strong> duchesse avait eu le temps <strong>de</strong> réfléchir; d'un ton ferme et lent, et <strong>com</strong>me si elleeût dicté son ultimatum, elle répondit:- Son Altesse m'écrirait une lettre gracieuse, <strong>com</strong>me elle sait si bien les faire; elle medirait que, n'étant point convaincue <strong>de</strong> la culpabilité <strong>de</strong> Fabrice <strong>de</strong>l Dongo, premiergrand vicaire <strong>de</strong> l'archevêque, elle ne signera point la sentence quand on viendra la luiprésenter, et que cette procédure injuste n'aura aucune suite à l'avenir.- Comment injuste! s'écria le prince en rougissant jusqu'au blanc <strong>de</strong>s yeux, etreprenant sa colère.- Ce n'est pas tout! répliqua la duchesse avec une fierté romaine; dès ce soir, et,ajouta-t-elle en regardant la pendule, il est déjà onze heures et un quart; dès ce soirSon Altesse Sérénissime enverra dire à la marquise Raversi qu'elle lui conseille d'allerà la campagne pour se délasser <strong>de</strong>s fatigues qu'a dû lui causer un certain procès dontelle parlait dans son salon au <strong>com</strong>mencement <strong>de</strong> la soirée. Le duc se promenait dansson cabinet <strong>com</strong>me un homme furieux.- Vit-on jamais une telle femme?... s'écriait-il; elle me manque <strong>de</strong> respect.142