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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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idicule <strong>de</strong> ces traités d'astrologie que feuilletait mon maître, et je crois que je lesrespectais surtout parce que, n'y entendant que quelques mots par-ci par-là, monimagination se chargeait <strong>de</strong> leur prêter un sens, et le plus romanesque possible.Peu à peu sa rêverie prit un autre cours. Y aurait-il quelque chose <strong>de</strong> réel dans cettescience? Pourquoi serait-elle différente <strong>de</strong>s autres? Un certain nombre d'imbéciles et<strong>de</strong> gens adroits conviennent entre eux qu'ils savent le mexicain, par exemple; ilss'imposent en cette qualité à la société qui les respecte et aux gouvernements qui lespaient. On les accable <strong>de</strong> faveurs précisément parce qu'ils n'ont point d'esprit, et quele pouvoir n'a pas à craindre qu'ils soulèvent les peuples et fassent du pathos à l'ai<strong>de</strong><strong>de</strong>s sentiments généreux! Par exemple le père Bari, auquel Ernest IV vient d'accor<strong>de</strong>rquatre mille francs <strong>de</strong> pension et la croix <strong>de</strong> son ordre pour avoir restitué dix-neuf versd'un dithyrambe grec!Mais, grand Dieu! ai-je bien le droit <strong>de</strong> trouver ces choses-là ridicules? Est-ce bien àmoi <strong>de</strong> me plaindre? se dit-il tout à coup en s'arrêtant, est-ce que cette même croix nevient pas d'être donnée à mon gouverneur <strong>de</strong> Naples? Fabrice éprouva un sentiment<strong>de</strong> malaise profond; le bel enthousiasme <strong>de</strong> vertu qui naguère venait <strong>de</strong> faire battreson coeur se changeait dans le vil plaisir d'avoir une bonne part dans un vol. Eh bien!se dit-il enfin avec les yeux éteints d'un homme mécontent <strong>de</strong> soi, puisque manaissance me donne le droit <strong>de</strong> profiter <strong>de</strong> ces abus, il serait d'une insigne duperie àmoi <strong>de</strong> n'en pas prendre ma part; mais il ne faut point m'aviser <strong>de</strong> les maudire enpublic. Ces raisonnements ne manquaient pas <strong>de</strong> justesse; mais Fabrice était bientombé <strong>de</strong> cette élévation <strong>de</strong> bonheur sublime où il s'était trouvé transporté une heureauparavant. <strong>La</strong> pensée du privilège avait <strong>de</strong>sséché cette plante toujours si délicatequ'on nomme le bonheur.S'il ne faut pas croire à l'astrologie, reprit-il en cherchant à s'étourdir, si cette scienceest, <strong>com</strong>me les trois quarts <strong>de</strong>s sciences non mathématiques, une réunion <strong>de</strong> nigaudsenthousiastes et d'hypocrites adroits et payés par qui ils servent, d'où vient que jepense si souvent et avec émotion à cette circonstance fatale? Jadis je suis sorti <strong>de</strong> laprison <strong>de</strong> B***, mais avec l'habit et la feuille <strong>de</strong> route d'un soldat jeté en prison pour<strong>de</strong> justes causes.Le raisonnement <strong>de</strong> Fabrice ne put jamais pénétrer plus loin; il tournait <strong>de</strong> centfaçons, autour <strong>de</strong> la difficulté sans parvenir à la surmonter. Il était trop jeune encore;dans ses moments <strong>de</strong> loisir, son âme s'occupait avec ravissement à goûter lessensations produites par <strong>de</strong>s circonstances romanesques que son imagination étaittoujours prête à lui fournir. Il était bien loin d'employer son temps à regar<strong>de</strong>r avecpatience les particularités réelles <strong>de</strong>s choses pour ensuite <strong>de</strong>viner leurs causes. Le réellui semblait encore plat et fangeux; je conçois qu'on n'aime pas à le regar<strong>de</strong>r, maisalors il ne faut pas en raisonner. Il ne faut pas surtout faire <strong>de</strong>s objections avec lesdiverses pièces <strong>de</strong> son ignorance.C'est ainsi que, sans manquer d'esprit, Fabrice ne put parvenir à voir que sa <strong>de</strong>microyancedans les présages était pour lui une religion, une impression profon<strong>de</strong> reçueà son entrée dans la vie. Penser à cette croyance c'était sentir, c'était un bonheur. Et ils'obstinait à chercher <strong>com</strong>ment ce pouvait être une science prouvée, réelle, dans legenre <strong>de</strong> la géométrie par exemple. Il recherchait avec ar<strong>de</strong>ur, dans sa mémoire,toutes les circonstances où <strong>de</strong>s présages observés par lui n'avaient pas été suivis <strong>de</strong>l'événement heureux ou malheureux qu'ils semblaient annoncer. Mais tout en croyantsuivre un raisonnement et marcher à la vérité, son attention s'arrêtait avec bonheursur le souvenir <strong>de</strong>s cas où le présage avait été largement suivi par l'acci<strong>de</strong>nt heureuxou malheureux qu'il lui semblait prédire, et son âme était frappée <strong>de</strong> respect et90

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