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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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Cache par tous les moyens possibles la folie que tu as faite, et surtout ne conserve surtoi aucun papier imprimé ou écrit; en Suisse tu seras environné <strong>de</strong>s amis <strong>de</strong> Sainte-Marguerite. Si j'ai assez d'argent, lui disait la <strong>com</strong>tesse, j'enverrai quelqu'un àGenève, à l'hôtel <strong>de</strong>s Balances, et tu auras <strong>de</strong>s détails que je ne puis écrire et qu'ilfaut pourtant que tu saches avant d'arriver. Mais, au nom <strong>de</strong> Dieu, pas un jour <strong>de</strong> plusà Paris; tu y serais reconnu par nos espions. " L'imagination <strong>de</strong> Fabrice se mit à sefigurer les choses les plus étranges, et il fut incapable <strong>de</strong> tout autre plaisir que celui <strong>de</strong>chercher à <strong>de</strong>viner ce que sa tante pouvait avoir à lui apprendre <strong>de</strong> si étrange. Deuxfois, en traversant la France, il fut arrêté; mais il sut se dégager; il dut cesdésagréments à son passeport italien et à cette étrange qualité <strong>de</strong> marchand <strong>de</strong>baromètres, qui n'était guère d'accord avec sa figure jeune et son bras en écharpe.Enfin, dans Genève, il trouva un homme appartenant à la <strong>com</strong>tesse qui lui raconta <strong>de</strong>sa part, que lui, Fabrice, avait été dénoncé à la police <strong>de</strong> Milan <strong>com</strong>me étant alléporter à Napoléon <strong>de</strong>s propositions arrêtées par une vaste conspiration organisée dansle ci-<strong>de</strong>vant royaume d'Italie. Si tel n'eût pas été le but <strong>de</strong> son voyage, disait ladénonciation, à quoi bon prendre un nom supposé? Sa mère chercherait à prouver cequi était vrai; c'est-à-dire:1º Qu'il n'était jamais sorti <strong>de</strong> la Suisse:2º Qu'il avait quitté le château à l'improviste à la suite d'une querelle avec son frèreaîné.À ce récit, Fabrice eut un sentiment d'orgueil. J'aurais été une sorte d'ambassa<strong>de</strong>urauprès <strong>de</strong> Napoléon! se dit-il; j'aurais eu l'honneur <strong>de</strong> parler à ce grand homme, plût àDieu! Il se souvint que son septième aïeul, le petit-fils <strong>de</strong> celui qui arriva à Milan à lasuite <strong>de</strong> Sforce, eut l'honneur d'avoir la tête tranchée par les ennemis du duc, qui lesurprirent <strong>com</strong>me il allait en Suisse porter <strong>de</strong>s propositions aux louables cantons etrecruter <strong>de</strong>s soldats. Il voyait <strong>de</strong>s yeux <strong>de</strong> l'âme l'estampe relative à ce fait, placéedans la généalogie <strong>de</strong> la famille. Fabrice, en interrogeant ce valet <strong>de</strong> chambre, letrouva outré d'un détail qui enfin lui échappa, malgré l'ordre exprès <strong>de</strong> le lui taire,plusieurs fois répété par la <strong>com</strong>tesse. C'était Ascagne, son frère aîné, qui l'avaitdénoncé à la police <strong>de</strong> Milan. Ce mot cruel donna <strong>com</strong>me un accès <strong>de</strong> folie à notrehéros. De Genève pour aller en Italie on passe par <strong>La</strong>usanne; il voulut partir à pied etsur-le-champ, et faire ainsi dix ou douze lieues, quoique la diligence <strong>de</strong> Genève à<strong>La</strong>usanne dût partir <strong>de</strong>ux heures plus tard. Avant <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> Genève, il se prit <strong>de</strong>querelle dans un <strong>de</strong>s tristes cafés du pays, avec un jeune homme qui le regardait,disait-il, d'une façon singulière. Rien <strong>de</strong> plus vrai, le jeune Genevois flegmatique,raisonnable et ne songeant qu'à l'argent, le croyait fou; Fabrice en entrant avait jeté<strong>de</strong>s regards furibonds <strong>de</strong> tous les côtés, puis renversé sur son pantalon la tasse <strong>de</strong>café qu'on lui servait. Dans cette querelle, le premier mouvement <strong>de</strong> Fabrice fut tout àfait du XVIe siècle: au lieu <strong>de</strong> parler du duel au jeune Genevois, il tira son poignard etse jeta sur lui pour l'en percer. En ce moment <strong>de</strong> passion, Fabrice oubliait tout ce qu'ilavait appris sur les règles <strong>de</strong> l'honneur, et revenait à l'instinct, ou, pour mieux dire,aux souvenirs <strong>de</strong> la première enfance.L'homme <strong>de</strong> confiance intime qu'il trouva dans Lugano augmenta sa fureur en luidonnant <strong>de</strong> nouveaux détails. Comme Fabrice était aimé à Grianta, personne n'eûtprononcé son nom, et sans l'aimable procédé <strong>de</strong> son frère, tout le mon<strong>de</strong> eût feint <strong>de</strong>croire qu'il était à Milan, et jamais l'attention <strong>de</strong> la police <strong>de</strong> cette ville n'eût étéappelée sur son absence.45

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