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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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Ce fut un grand pas <strong>de</strong> fait, et bien dangereux; par bonheur pour le ministre, qui, à<strong>Parme</strong>, ne trouvait pas <strong>de</strong> cruelles, c'était seulement <strong>de</strong>puis peu <strong>de</strong> jours que la<strong>com</strong>tesse arrivait <strong>de</strong> Grianta; son esprit était encore tout raidi par l'ennui <strong>de</strong> la viechampêtre. Elle avait <strong>com</strong>me oublié la plaisanterie; et toutes ces choses quiappartiennent à une façon <strong>de</strong> vivre élégante et légère avaient pris à ses yeux <strong>com</strong>meune teinte <strong>de</strong> nouveauté qui les rendait sacrées; elle n'était disposée à se moquer <strong>de</strong>rien, pas même d'un amoureux <strong>de</strong> quarante-cinq ans et timi<strong>de</strong>. Huit jours plus tard, latémérité du <strong>com</strong>te eût pu recevoir un tout autre accueil.À la Scala, il est d'usage <strong>de</strong> ne faire durer qu'une vingtaine <strong>de</strong> minutes ces petitesvisites que l'on fait dans les loges, le <strong>com</strong>te passa toute la soirée dans celle où il avaitle bonheur <strong>de</strong> rencontrer Mme Pietranera: c'est une femme, se disait-il, qui me rendtoutes les folies <strong>de</strong> la jeunesse! Mais il sentait bien le danger. Ma qualité <strong>de</strong> pachatout-puissant à quarante lieues d'ici me fera-t-elle pardonner cette sottise? jem'ennuie tant à <strong>Parme</strong>! Toutefois, <strong>de</strong> quart d'heure en quart d'heure il se promettait<strong>de</strong> partir.- Il faut avouer, madame, dit-il en riant à la <strong>com</strong>tesse, qu'à <strong>Parme</strong> je meurs d'ennui,et il doit m'être permis <strong>de</strong> m'enivrer <strong>de</strong> plaisir quand j'en trouve sur ma route. Ainsi,sans conséquence et pour une soirée, permettez-moi <strong>de</strong> jouer auprès <strong>de</strong> vous le rôled'amoureux. Hélas! dans peu <strong>de</strong> jours je serai bien loin <strong>de</strong> cette loge qui me faitoublier tous les chagrins et même, direz-vous, toutes les convenances.Huit jours après cette visite monstre dans la loge à la Scala et à la suite <strong>de</strong> plusieurspetits inci<strong>de</strong>nts dont le récit semblerait long peut-être, le <strong>com</strong>te Mosca étaitabsolument fou d'amour, et la <strong>com</strong>tesse pensait déjà que l'âge ne <strong>de</strong>vait pas faireobjection, si d'ailleurs on le trouvait aimable. On en était à ces pensées quand Moscafut rappelé par un courrier <strong>de</strong> <strong>Parme</strong>. On eût dit que son prince avait peur tout seul.<strong>La</strong> <strong>com</strong>tesse retourna à Grianta; son imagination ne parant plus ce beau lieu, il luiparut désert. Est-ce que je me serais attachée à cet homme? se dit-elle. Mosca écrivitet n'eut rien à jouer, l'absence lui avait enlevé la source <strong>de</strong> toutes ses pensées; seslettres étaient amusantes, et, par une petite singularité qui ne fut pas mal prise, pouréviter les <strong>com</strong>mentaires du marquis <strong>de</strong>l Dongo qui n'aimait pas à payer <strong>de</strong>s ports <strong>de</strong>lettres, il envoyait <strong>de</strong>s courriers qui jetaient les siennes à la poste à Côme, à Lecco, àVarèse ou dans quelque autre <strong>de</strong> ces petites villes charmantes <strong>de</strong>s environs du lac.Ceci tendait à obtenir que le courrier rapportât les réponses; il y parvint.Bientôt les jours <strong>de</strong> courrier firent événement pour la <strong>com</strong>tesse; ces courriersapportaient <strong>de</strong>s fleurs, <strong>de</strong>s fruits, <strong>de</strong> petits ca<strong>de</strong>aux sans valeur, mais qui l'amusaientainsi que sa belle-soeur. Le souvenir du <strong>com</strong>te se mêlait à l'idée <strong>de</strong> son grand pouvoir;la <strong>com</strong>tesse était <strong>de</strong>venue curieuse <strong>de</strong> tout ce qu'on disait <strong>de</strong> lui, les libéraux euxmêmesrendaient hommage à ses talents. <strong>La</strong> principale source <strong>de</strong> mauvaise réputationpour le <strong>com</strong>te, c'est qu'il passait pour le chef du parti ultra à la cour <strong>de</strong> <strong>Parme</strong>, et quele parti libéral avait à sa tête une intrigante capable <strong>de</strong> tout, et même <strong>de</strong> réussir, lamarquise Raversi, immensément riche. Le prince était fort attentif à ne pasdécourager celui <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux partis qui n'était pas au pouvoir; il savait bien qu'il seraittoujours le maître, même avec un ministère pris dans le salon <strong>de</strong> Mme Raversi. Ondonnait à Grianta mille détails sur ces intrigues; l'absence <strong>de</strong> Mosca, que tout lemon<strong>de</strong> peignait <strong>com</strong>me un ministre du premier talent et un homme d'action,permettait <strong>de</strong> ne plus songer aux cheveux poudrés, symbole <strong>de</strong> tout ce qui est lent ettriste, c'était un détail sans conséquence, une <strong>de</strong>s obligations <strong>de</strong> la cour, où il jouaitd'ailleurs un si beau rôle. Une cour, c'est ridicule, disait la <strong>com</strong>tesse à la marquise,mais c'est amusant; c'est un jeu qui intéresse, mais dont il faut accepter les règles.60

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