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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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L'admirable singularité <strong>de</strong> cette figure dans laquelle éclataient les grâces naïves etl'empreinte céleste <strong>de</strong> l'âme la plus noble, c'est que, bien que <strong>de</strong> la plus rare et <strong>de</strong> laplus singulière beauté, elle ne ressemblait en aucune façon aux têtes <strong>de</strong> statuesgrecques. <strong>La</strong> duchesse avait au contraire un peu trop <strong>de</strong> la beauté connue <strong>de</strong> l'idéal, etsa tête vraiment lombar<strong>de</strong> rappelait le sourire voluptueux et la tendre mélancolie <strong>de</strong>sbelles Hérodia<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Léonard <strong>de</strong> Vinci. Autant la duchesse était sémillante, pétillanted'esprit et <strong>de</strong> malice, s'attachant avec passion, si l'on peut parler ainsi, à tous lessujets que le courant <strong>de</strong> la conversation amenait <strong>de</strong>vant les yeux <strong>de</strong> son âme, autantClélia se montrait calme et lente à s'émouvoir, soit par mépris <strong>de</strong> ce qui l'entourait,soit par regret <strong>de</strong> quelque chimère absente. Longtemps on avait cru qu'elle finirait parembrasser la vie religieuse. À vingt ans on lui voyait <strong>de</strong> la répugnance à aller au bal,et si elle y suivait son père, ce n'était que par obéissance et pour ne pas nuire auxintérêts <strong>de</strong> son ambition.Il me sera donc impossible, répétait trop souvent l'âme vulgaire du général, le cielm'ayant donné pour fille la plus belle personne <strong>de</strong>s états <strong>de</strong> notre souverain, et la plusvertueuse, d'en tirer quelque parti pour l'avancement <strong>de</strong> ma fortune! Ma vie est tropisolée, je n'ai qu'elle au mon<strong>de</strong>, et il me faut <strong>de</strong> toute nécessité une famille qui m'étaiedans le mon<strong>de</strong>, et qui me donne un certain nombre <strong>de</strong> salons, où mon mérite etsurtout mon aptitu<strong>de</strong> au ministère soient posés <strong>com</strong>me bases inattaquables <strong>de</strong> toutraisonnement politique. Eh bien! ma fille si belle, si sage, si pieuse, prend <strong>de</strong> l'humeurdès qu'un jeune homme bien établi à la cour entreprend <strong>de</strong> lui faire agréer seshommages. Ce prétendant est-il éconduit, son caractère <strong>de</strong>vient moins sombre, et jela vois presque gaie, jusqu'à ce qu'un autre épouseur se mette sur les rangs. Le plusbel homme <strong>de</strong> la cour, le <strong>com</strong>te Baldi, s'est présenté et a déplu: l'homme le plus riche<strong>de</strong>s états <strong>de</strong> Son Altesse, le marquis Crescenzi, lui a succédé, elle prétend qu'il feraitson malheur.Décidément, disait d'autres fois le général, les yeux <strong>de</strong> ma fille sont plus beaux queceux <strong>de</strong> la duchesse, en cela surtout qu'en <strong>de</strong> rares occasions ils sont susceptiblesd'une expression plus profon<strong>de</strong>; mais cette expression magnifique , quand est-cequ'on la lui voit? Jamais dans un salon où elle pourrait lui faire honneur, mais bien à lapromena<strong>de</strong>, seule avec moi, où elle se laissera attendrir, par exemple, par le malheur<strong>de</strong> quelque manant hi<strong>de</strong>ux. Conserve quelque souvenir <strong>de</strong> ce regard sublime, lui dis-jequelquefois, pour les salons où nous paraîtrons ce soir. Point: daigne-t-elle me suivredans le mon<strong>de</strong>, sa figure noble et pure offre l'expression assez hautaine et peuencourageante <strong>de</strong> l'obéissance passive. Le général n'épargnait aucune démarche,<strong>com</strong>me on voit, pour se trouver un gendre convenable, mais il disait vrai.Les courtisans, qui n'ont rien à regar<strong>de</strong>r dans leur âme, sont attentifs à tout: ilsavaient remarqué que c'était surtout dans ces jours où Clélia ne pouvait prendre surelle <strong>de</strong> s'élancer hors <strong>de</strong> ses chères rêveries et <strong>de</strong> feindre <strong>de</strong> l'intérêt pour quelquechose que la duchesse aimait à s'arrêter auprès d'elle et cherchait à la faire parler.Clélia avait <strong>de</strong>s cheveux blonds cendrés, se détachant, par un effet très doux, sur <strong>de</strong>sjoues d'un coloris fin, mais en général un peu trop pâle. <strong>La</strong> forme seule du front eût puannoncer à un observateur attentif que cet air si noble, cette démarche tellement au<strong>de</strong>ssus<strong>de</strong>s grâces vulgaires, tenaient à une profon<strong>de</strong> incurie pour tout ce qui estvulgaire. C'était l'absence et non pas l'impossibilité <strong>de</strong> l'intérêt pour quelque chose.Depuis que son père était gouverneur <strong>de</strong> la cita<strong>de</strong>lle, Clélia se trouvait heureuse, oudu moins exempte <strong>de</strong> chagrins, dans son appartement si élevé. Le nombre effroyable<strong>de</strong> marches qu'il fallait monter pour arriver à ce palais du gouverneur, situé surl'esplana<strong>de</strong> <strong>de</strong> la grosse tour, éloignait les visites ennuyeuses, et Clélia, par cetteraison matérielle, jouissait <strong>de</strong> la liberté du couvent; c'était presque là tout l'idéal <strong>de</strong>154

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