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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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navrée, toute la ville parle <strong>de</strong> sa mort prochaine! Demain peut être le jour fatal! avecles monstres qui nous gouvernent, quelle chose au mon<strong>de</strong> n'est pas possible! Quelledouceur, quelle sérénité héroïque dans ces yeux qui peut-être vont se fermer! Dieu!quelles ne doivent pas être les angoisses <strong>de</strong> la duchesse! aussi on la dit tout à fait audésespoir. Moi j'irais poignar<strong>de</strong>r le prince, <strong>com</strong>me l'héroïque Charlotte Corday.Pendant toute cette troisième journée <strong>de</strong> sa prison Fabrice fut outré <strong>de</strong> colère, maisuniquement <strong>de</strong> ne pas avoir vu reparaître Clélia. Colère pour colère, j'aurais dû lui direque je l'aimais, s'écriait-il; car il en était arrivé à cette découverte. Non, ce n'est pointpar gran<strong>de</strong>ur d'âme que je ne songe pas à la prison et que je fais mentir la prophétie<strong>de</strong> Blanès, tant d'honneur ne m'appartient point. Malgré moi je songe à ce regard <strong>de</strong>douce pitié que Clélia laissa tomber sur moi lorsque les gendarmes m'emmenaient ducorps <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>; ce regard a effacé toute ma vie passée. Qui m'eût dit que jetrouverais <strong>de</strong>s yeux si doux en un tel lieu! et au moment où j'avais les regards salispar la physionomie <strong>de</strong> Barbone et par celle <strong>de</strong> M. le général gouverneur.Le ciel parut au milieu <strong>de</strong> ces êtres vils. Et <strong>com</strong>ment faire pour ne pas aimer la beautéet chercher à la revoir? Non, ce n'est point par gran<strong>de</strong>ur d'âme que je suis indifférentà toutes les petites vexations dont la prison m'accable. L'imagination <strong>de</strong> Fabrice,parcourant rapi<strong>de</strong>ment toutes les possibilités, arriva à celle d'être mis en liberté. Sansdoute l'amitié <strong>de</strong> la duchesse fera <strong>de</strong>s miracles pour moi. Eh bien! je ne la remercierais<strong>de</strong> la liberté que du bout <strong>de</strong>s lèvres; ces lieux ne sont point <strong>de</strong> ceux où l'on revient!une fois hors <strong>de</strong> prison, séparés <strong>de</strong> sociétés <strong>com</strong>me nous le sommes, je ne reverraispresque jamais Clélia! Et, dans le fait, quel mal me fait la prison? Si Clélia daignait nepas m'accabler <strong>de</strong> sa colère, qu'aurais-je à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r au ciel?Le soir <strong>de</strong> ce jour où il n'avait pas vu sa jolie voisine, il eut une gran<strong>de</strong> idée: avec lacroix <strong>de</strong> fer du chapelet que l'on distribue à tous les prisonniers à leur entrée enprison, il <strong>com</strong>mença, et avec succès, à percer l'abat-jour. C'est peut-être uneimpru<strong>de</strong>nce, se dit-il avant <strong>de</strong> <strong>com</strong>mencer. Les menuisiers n'ont-ils pas dit <strong>de</strong>vant moique, dès <strong>de</strong>main, ils seront remplacés par les ouvriers peintres? Que diront ceux-cis'ils trouvent l'abat-jour <strong>de</strong> la fenêtre percé? Mais si je ne <strong>com</strong>mets cette impru<strong>de</strong>nce,<strong>de</strong>main je ne puis la voir. Quoi! par ma faute je resterais un jour sans la voir! etencore quand elle m'a quitté fâchée! L'impru<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> Fabrice fut ré<strong>com</strong>pensée; aprèsquinze heures <strong>de</strong> travail, il vit Clélia, et, par excès <strong>de</strong> bonheur, <strong>com</strong>me elle ne croyaitpoint être aperçue <strong>de</strong> lui, elle resta longtemps immobile et le regard fixé sur cetimmense abat-jour; il eut tout le temps <strong>de</strong> lire dans ses yeux les signes <strong>de</strong> la pitié laplus tendre. Sur la fin <strong>de</strong> la visite elle négligeait même évi<strong>de</strong>mment les soins à donnerà ses oiseaux, pour rester <strong>de</strong>s minutes entières immobile à contempler la fenêtre. Sonâme était profondément troublée; elle songeait à la duchesse dont l'extrême malheurlui avait inspiré tant <strong>de</strong> pitié, et cependant elle <strong>com</strong>mençait à la haïr. Elle ne<strong>com</strong>prenait rien à la profon<strong>de</strong> mélancolie qui s'emparait <strong>de</strong> son caractère, elle avait <strong>de</strong>l'humeur contre elle-même. Deux ou trois fois, pendant le cours <strong>de</strong> cette visite,Fabrice eut l'impatience <strong>de</strong> chercher à ébranler l'abat-jour; il lui semblait qu'il n'étaitpas heureux tant qu'il ne pouvait pas témoigner à Clélia qu'il la voyait. Cependant, sedisait-il, si elle savait que je l'aperçois avec autant <strong>de</strong> facilité, timi<strong>de</strong> et réservée<strong>com</strong>me elle l'est, sans doute elle se déroberait à mes regards.Il fut bien plus heureux le len<strong>de</strong>main (<strong>de</strong> quelles misères l'amour ne fait-il pas sonbonheur!): pendant qu'elle regardait tristement l'immense abat-jour, il parvint à fairepasser un petit morceau <strong>de</strong> fil <strong>de</strong> fer par l'ouverture que la croix <strong>de</strong> fer avait pratiquée,et il lui fit <strong>de</strong>s signes qu'elle <strong>com</strong>prit évi<strong>de</strong>mment, du moins dans ce sens qu'ilsvoulaient dire: je suis là et je vous vois.183

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