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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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- J'y <strong>com</strong>pte bien, répliquait le <strong>com</strong>te. Le prince le lira tous les matins et admirera madoctrine à moi qui l'ai fondé. Pour les détails, il approuvera ou sera choqué; <strong>de</strong>sheures qu'il consacre au travail en voilà <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> prises. Le journal se fera <strong>de</strong>s affaires,mais à l'époque où arriveront les plaintes sérieuses, dans huit ou dix mois, il seraentièrement dans les mains <strong>de</strong>s ultra-furibonds. Ce sera ce parti qui me gêne qui<strong>de</strong>vra répondre, moi j'élèverai <strong>de</strong>s objections contre le journal; au fond, j'aime mieuxcent absurdités atroces qu'un seul pendu. Qui se souvient d'une absurdité <strong>de</strong>ux ansaprès le numéro du journal officiel? Au lieu que les fils et la famille du pendu mevouent une haine qui durera autant que moi et qui peut-être abrégera ma vie.<strong>La</strong> duchesse, toujours passionnée pour quelque chose, toujours agissante, jamaisoisive, avait plus d'esprit que toute la cour <strong>de</strong> <strong>Parme</strong>; mais elle manquait <strong>de</strong> patienceet d'impassibilité pour réussir dans les intrigues. Toutefois, elle était parvenue à suivreavec passion les intérêts <strong>de</strong>s diverses coteries, elle <strong>com</strong>mençait même à avoir uncrédit personnel auprès du prince. Clara-Paolina, la princesse régnante, environnéed'honneurs, mais emprisonnée dans l'étiquette la plus surannée, se regardait <strong>com</strong>mela plus malheureuse <strong>de</strong>s femmes. <strong>La</strong> duchesse Sanseverina lui fit la cour, et entreprit<strong>de</strong> lui prouver qu'elle n'était point si malheureuse. Il faut savoir que le prince ne voyaitsa femme qu'à dîner: ce repas durait trente minutes et le prince passait <strong>de</strong>s semainesentières sans adresser la parole à Clara-Paolina. Mme Sanseverina essaya <strong>de</strong> changertout cela; elle amusait le prince, et d'autant plus qu'elle avait su conserver toute sonindépendance. Quand elle l'eût voulu, elle n'eût pas pu ne jamais blesser aucun <strong>de</strong>ssots qui pullulaient à cette cour. C'était cette parfaite inhabileté <strong>de</strong> sa part qui lafaisait exécrer du vulgaire <strong>de</strong>s courtisans, tous <strong>com</strong>tes ou marquis, jouissant engénéral <strong>de</strong> cinq mille livres <strong>de</strong> rentes. Elle <strong>com</strong>prit ce malheur dès les premiers jours,et s'attacha exclusivement à plaire au souverain et à sa femme, laquelle dominaitabsolument le prince héréditaire. <strong>La</strong> duchesse savait amuser le souverain et profitait<strong>de</strong> l'extrême attention qu'il accordait à ses moindres paroles pour donner <strong>de</strong> bonsridicules aux courtisans qui la haïssaient. Depuis les sottises que Rassi lui avait faitfaire, et les sottises <strong>de</strong> sang ne se réparent pas, le prince avait peur quelquefois, ets'ennuyait souvent, ce qui l'avait conduit à la triste envie; il sentait qu'il ne s'amusaitguère, et <strong>de</strong>venait sombre quand il croyait voir que d'autres s'amusaient; l'aspect dubonheur le rendait furieux. Il faut cacher nos amours, dit la duchesse à son ami; etelle laissa <strong>de</strong>viner au prince qu'elle n'était plus que fort médiocrement éprise du<strong>com</strong>te, homme d'ailleurs si estimable .Cette découverte avait donné un jour heureux à Son Altesse. De temps à autre, laduchesse laissait tomber quelques mots du projet qu'elle aurait <strong>de</strong> se donner chaqueannée un congé <strong>de</strong> quelques mois qu'elle emploierait à voir l'Italie qu'elle neconnaissait point: elle irait visiter Naples, Florence Rome. Or, rien au mon<strong>de</strong> nepouvait faire plus <strong>de</strong> peine au prince qu'une telle apparence <strong>de</strong> désertion: c'était làune <strong>de</strong> ses faiblesses les plus marquées, les démarches qui pouvaient être imputées àmépris pour sa ville capitale lui perçaient le coeur. Il sentait qu'il n'avait aucun moyen<strong>de</strong> retenir Mme Sanseverina, et Mme Sanseverina était <strong>de</strong> bien loin la femme la plusbrillante <strong>de</strong> <strong>Parme</strong>. Chose unique avec la paresse italienne, on revenait <strong>de</strong>scampagnes environnantes pour assister à ses jeudis; c'étaient <strong>de</strong> véritables fêtes;presque toujours la duchesse y avait quelque chose <strong>de</strong> neuf et <strong>de</strong> piquant. Le princemourait d'envie <strong>de</strong> voir un <strong>de</strong> ces jeudis mais <strong>com</strong>ment s'y prendre? Allez chez unsimple particulier! c'était une chose que ni son père ni lui n'avaient jamais faite!Un certain jeudi, il pleuvait, il faisait froid; à chaque instant <strong>de</strong> la soirée le ducentendait <strong>de</strong>s voitures qui ébranlaient le pavé <strong>de</strong> la place du palais, en allant chezMme Sanseverina. Il eut un mouvement d'impatience: d'autres s'amusaient, et lui,prince souverain, maître absolu, qui <strong>de</strong>vait s'amuser plus que personne au mon<strong>de</strong>, il73

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