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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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<strong>de</strong> ses moeurs, l'avait mis dans une vénération si extraordinaire qu'il se décida enfin àobéir aux conseils <strong>de</strong> sa tante." Le prince a pour toi une vénération telle, lui écrivait-elle, qu'il faut t'attendre bientôtà une disgrâce; il te prodiguera les marques d'inattention et les mépris atroces <strong>de</strong>scourtisans suivront les siens. Ces petits <strong>de</strong>spotes, si honnêtes qu'ils soient, sontchangeants <strong>com</strong>me la mo<strong>de</strong> et par la même raison: l'ennui. Tu ne peux trouver <strong>de</strong>forces contre le caprice du souverain que dans la prédication. Tu improvises si bien envers! essaye <strong>de</strong> parler une <strong>de</strong>mi-heure sur la religion; tu diras <strong>de</strong>s hérésies dans les<strong>com</strong>mencements; mais paye un théologien savant et discret qui assistera à tessermons, et t'avertira <strong>de</strong> tes fautes, tu les répareras le len<strong>de</strong>main. "Le genre <strong>de</strong> malheur que porte dans l'âme un amour contrarié, fait que toute chose<strong>de</strong>mandant <strong>de</strong> l'attention et <strong>de</strong> l'action <strong>de</strong>vient une atroce corvée. Mais Fabrice se ditque son crédit sur le peuple, s'il en acquérait, pourrait un jour être utile à sa tante etau <strong>com</strong>te, pour lequel sa vénération augmentait tous les jours, à mesure que lesaffaires lui apprenaient à connaître la méchanceté <strong>de</strong>s hommes. Il se détermina àprêcher, et son succès, préparé par sa maigreur et son habit râpé, fut sans exemple.On trouvait dans ses discours un parfum <strong>de</strong> tristesse profon<strong>de</strong>, qui, réuni à sacharmante figure et aux récits <strong>de</strong> la haute faveur dont il jouissait à la cour, enlevatous les coeurs <strong>de</strong> femme. Elles inventèrent qu'il avait été un <strong>de</strong>s plus bravescapitaines <strong>de</strong> l'armée <strong>de</strong> Napoléon. Bientôt ce fait absur<strong>de</strong> fut hors <strong>de</strong> doute. On faisaitgar<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s places dans les églises où il <strong>de</strong>vait prêcher; les pauvres s y établissaientpar spéculation dès cinq heures du matin .Le succès fut tel que Fabrice eut enfin l'idée qui changea tout dans son âme, que, nefût-ce que par simple curiosité, la marquise Crescenzi pourrait bien un jour venirassister à l'un <strong>de</strong> ses sermons. Tout à coup le public ravi s'aperçut que son talentredoublait; il se permettait, quand il était ému, <strong>de</strong>s images dont la hardiesse eût faitfrémir les orateurs les plus exercés; quelquefois, s'oubliant soi-même, il se livrait à<strong>de</strong>s moments d'inspiration passionnée, et tout l'auditoire fondait en larmes. Maisc'était en vain que son oeil aggrottato cherchait parmi tant <strong>de</strong> figures tournées vers lachaire celle dont la présence eût été pour lui un si grand événement.Mais si jamais j'ai ce bonheur, se dit-il, ou je me trouverai mal, ou je resteraiabsolument court. Pour parer à ce <strong>de</strong>rnier inconvénient, il avait <strong>com</strong>posé une sorte <strong>de</strong>prière tendre et passionnée qu'il plaçait toujours dans sa chaire, sur un tabouret; ilavait le projet <strong>de</strong> se mettre à lire ce morceau, si jamais la présence <strong>de</strong> la marquisevenait le mettre hors d'état <strong>de</strong> trouver un mot.Il apprit un jour, par ceux <strong>de</strong>s domestiques du marquis qui étaient à sa sol<strong>de</strong>, que <strong>de</strong>sordres avaient été donnés afin que l'on préparât pour le len<strong>de</strong>main la loge <strong>de</strong> la CasaCrescenzi au grand théâtre. Il y avait une année que la marquise n'avait paru à aucunspectacle, et c'était un ténor qui faisait fureur et remplissait la salle tous les soirs quila faisait déroger à ses habitu<strong>de</strong>s. Le premier mouvement <strong>de</strong> Fabrice fut une joieextrême. Enfin je pourrai la voir toute une soirée! On dit qu'elle est bien pâle. Et ilcherchait à se figurer ce que pouvait être cette tête charmante, avec <strong>de</strong>s couleurs à<strong>de</strong>mi effacées par les <strong>com</strong>bats <strong>de</strong> l'âme.Son ami Ludovic, tout consterné <strong>de</strong> ce qu'il appelait la folie <strong>de</strong> son maître, trouva,mais avec beaucoup <strong>de</strong> peine, une loge au quatrième rang, presque en face <strong>de</strong> celle<strong>de</strong> la marquise. Une idée se présenta à Fabrice: J'espère lui donner l'idée <strong>de</strong> venir ausermon, et je choisirai une église fort petite, afin d'être en état <strong>de</strong> la bien voir. Fabriceprêchait ordinairement à trois heures. Dès le matin du jour où la marquise <strong>de</strong>vait aller280

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