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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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Pourquoi l'historien qui suit fidèlement les moindres détails du récit qu'on lui a faitserait-il coupable? Est-ce sa faute si les personnages, séduits par <strong>de</strong>s passions qu'il nepartage point malheureusement pour lui, tombent dans <strong>de</strong>s actions profondémentimmorales? Il est vrai que <strong>de</strong>s choses <strong>de</strong> cette sorte ne se font plus dans un pays oùl'unique passion survivante à toutes les autres est l'argent, moyen <strong>de</strong> vanité.Trois mois après les événements racontés jusqu'ici, la duchesse Sanseverina-Taxisétonnait la cour <strong>de</strong> <strong>Parme</strong> par son amabilité facile et par la noble sérénité <strong>de</strong> sonesprit; sa maison fut sans <strong>com</strong>paraison la plus agréable <strong>de</strong> la ville. C'est ce que le<strong>com</strong>te Mosca avait promis à son maître. Ranuce-Ernest IV, le prince régnant, et laprincesse sa femme, auxquels elle fut présentée par <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s dames dupays, lui firent un accueil fort distingué. <strong>La</strong> duchesse était curieuse <strong>de</strong> voir ce princemaître du sort <strong>de</strong> l'homme qu'elle aimait, elle voulut lui plaire et y réussit trop. Elletrouva un homme d'une taille élevée, mais un peu épaisse; ses cheveux, sesmoustaches, ses énormes favoris étaient d'un beau blond selon ses courtisans; ailleursils eussent provoqué, par leur couleur effacée, le mot ignoble <strong>de</strong> filasse. Au milieu d'ungros visage s'élevait fort peu un tout petit nez presque féminin. Mais la duchesseremarqua que pour apercevoir tous ces motifs <strong>de</strong> lai<strong>de</strong>ur, il fallait chercher à détaillerles traits du prince. Au total, il avait l'air d'un homme d'esprit et d'un caractère ferme.Le port du prince, sa manière <strong>de</strong> se tenir n'étaient point sans majesté, mais souvent ilvoulait imposer à son interlocuteur; alors il s'embarrassait lui-même et tombait dansun balancement d'une jambe à l'autre presque continuel. Du reste, Ernest 1V avait unregard pénétrant et dominateur; les gestes <strong>de</strong> ses bras avaient <strong>de</strong> la noblesse, et sesparoles étaient à la fois mesurées et concises.Mosca avait prévenu la duchesse que le prince avait, dans le grand cabinet où ilrecevait en audience, un portrait en pied <strong>de</strong> Louis XIV, et une table fort belle <strong>de</strong>scagliola <strong>de</strong> Florence. Elle trouva que l'imitation était frappante; évi<strong>de</strong>mment ilcherchait le regard et la parole noble <strong>de</strong> Louis XIV, et il s'appuyait sur la table <strong>de</strong>scagliola, <strong>de</strong> façon à se donner la tournure <strong>de</strong> Joseph II. Il s'assit aussitôt après lespremières paroles adressées par lui à la duchesse, afin <strong>de</strong> lui donner l'occasion <strong>de</strong>faire usage du tabouret qui appartenait à son rang. À cette cour, les duchesses, lesprincesses et les femmes <strong>de</strong>s grands d'Espagne s'assoient seules; les autres femmesatten<strong>de</strong>nt que le prince ou la princesse les y engagent; et, pour marquer la différence<strong>de</strong>s rangs, ces personnes augustes ont toujours soin <strong>de</strong> laisser passer un petitintervalle avant <strong>de</strong> convier les dames non duchesses à s'asseoir. <strong>La</strong> duchesse trouvaqu'en <strong>de</strong> certains moments l'imitation <strong>de</strong> Louis XIV était un peu trop marquée chez leprince; par exemple, dans sa façon <strong>de</strong> sourire avec bonté tout en renversant la tête.Ernest IV portait un frac à la mo<strong>de</strong> arrivant <strong>de</strong> Paris; on lui envoyait tous les mois <strong>de</strong>cette ville, qu'il abhorrait, un frac, une redingote et un chapeau. Mais, par un bizarremélange <strong>de</strong> costumes, le jour où la duchesse fut reçue il avait pris une culotte rouge,<strong>de</strong>s bas <strong>de</strong> soie et <strong>de</strong>s souliers fort couverts, dont on peut trouver les modèles dansles portraits <strong>de</strong> Joseph II.Il reçut Mme Sanseverina avec grâce; il lui dit <strong>de</strong>s choses spirituelles et fines; maiselle remarqua fort bien qu'il n'y avait pas excès dans la bonne réception. - Savez-vouspourquoi? lui dit le <strong>com</strong>te Mosca au retour <strong>de</strong> l'audience, c'est que Milan est une villeplus gran<strong>de</strong> et plus belle que <strong>Parme</strong>. Il eût craint, en vous faisant l'accueil auquel jem'attendais et qu'il m'avait fait espérer, d'avoir l'air d'un provincial en extase <strong>de</strong>vantles grâces d'une belle dame arrivant <strong>de</strong> la capitale. Sans doute aussi il est encorecontrarié d'une particularité que je n'ose vous dire: le prince ne voit à sa cour aucunefemme qui puisse vous le disputer en beauté. Tel a été hier soir, à son petit coucher,l'unique sujet <strong>de</strong> son entretien avec Pernice, son premier valet <strong>de</strong> chambre, qui a <strong>de</strong>s64

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