La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com
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- Ah ça, mon ami, parlons en hommes! Puis-je vous être bon à quelque chose? Vousne <strong>de</strong>vez point redouter <strong>de</strong> questions <strong>de</strong> ma part; mais enfin l'argent peut-il vous êtreutile, le pouvoir peut-il vous servir? Parlez, je suis à vos ordres; si vous aimez mieuxécrire, écrivez-moi.Fabrice l'embrassa tendrement et parla du tableau.-Votre conduite est le chef-d'oeuvre <strong>de</strong> la plus fine politique, lui dit le <strong>com</strong>te enrevenant au ton léger <strong>de</strong> la conversation; vous vous ménagez un avenir fort agréable,le prince vous respecte, le peuple vous vénère, votre petit habit noir râpé fait passer<strong>de</strong> mauvaises nuits à monsignore <strong>La</strong>ndriani. J'ai quelque habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s affaires, et jepuis vous jurer que je ne saurais quel conseil vous donner pour perfectionner ce queJe vois. Votre premier pas dans le mon<strong>de</strong> à vingt-cinq ans vous fait atteindre à laperfection. On parle beaucoup <strong>de</strong> vous à la cour; et savez-vous à quoi vous <strong>de</strong>vezcette distinction unique à votre âge? au petit habit noir râpé. <strong>La</strong> duchesse et moi nousdisposons, <strong>com</strong>me vous le savez, <strong>de</strong> l'ancienne maison <strong>de</strong> Pétrarque sur cette bellecolline au milieu <strong>de</strong> la forêt, aux environs du Pô: si jamais vous êtes las <strong>de</strong>s petitsmauvais procédés <strong>de</strong> l'envie, j'ai pensé que vous pourriez être le successeur <strong>de</strong>Pétrarque, dont le renom augmentera le vôtre. Le <strong>com</strong>te se mettait l'esprit à la torturepour faire naître un sourire sur cette figure d'anachorète, mais il n'y put parvenir. Cequi rendait le changement plus frappant, c'est qu'avant ces <strong>de</strong>rniers temps, si la figure<strong>de</strong> Fabrice avait un défaut, c'était <strong>de</strong> présenter quelquefois, hors <strong>de</strong> propos,l'expression <strong>de</strong> la volupté et <strong>de</strong> la gaieté.Le <strong>com</strong>te ne le laissa point partir sans lui dire que, malgré son état <strong>de</strong> retraite, il yaurait peut-être <strong>de</strong> l'affectation à ne pas paraître à la cour le samedi suivant, c'était lejour <strong>de</strong> naissance <strong>de</strong> la princesse. Ce mot fut un coup <strong>de</strong> poignard pour Fabrice. GrandDieu! pensa-t-il, que suis-je venu faire dans ce palais! Il ne pouvait penser sans frémirà la rencontre qu'il pouvait faire à la cour. Cette idée absorba toutes les autres; ilpensa que l'unique ressource qui lui restât était d'arriver au palais au moment précisoù l'on ouvrirait les portes <strong>de</strong>s salons.En effet, le nom <strong>de</strong> monsignore <strong>de</strong>l Dongo fut un <strong>de</strong>s premiers annoncés à la soirée <strong>de</strong>grand gala, et la princesse le reçut avec toute la distinction possible. Les yeux <strong>de</strong>Fabrice étaient fixés sur la pendule, et, à l'instant où elle marqua la vingtième minute<strong>de</strong> sa présence dans ce salon, il se levait pour prendre congé, lorsque le prince entrachez sa mère. Après lui avoir fait la cour quelques instants, Fabrice se rapprochait <strong>de</strong>la porte par une savante manoeuvre, lorsque vint éclater à ses dépens un <strong>de</strong> cespetits riens <strong>de</strong> cour que la gran<strong>de</strong> maîtresse savait si bien ménager: le chambellan <strong>de</strong>service lui courut après pour lui dire qu'il avait été désigné pour faire le whist duprince. À <strong>Parme</strong>, c'est un honneur insigne et bien au-<strong>de</strong>ssus du rang que le coadjuteuroccupait dans le mon<strong>de</strong>. Faire le whist était un honneur marqué même pourl'archevêque. À la parole du chambellan, Fabrice se sentit percer le coeur, et quoiqueennemi mortel <strong>de</strong> toute scène publique, il fut sur le point d'aller lui dire qu'il avait étésaisi d'un étourdissement subit; mais il pensa qu'il serait en butte à <strong>de</strong>s questions et à<strong>de</strong>s <strong>com</strong>pliments <strong>de</strong> condoléances, plus intolérables encore que le jeu. Ce jour-là ilavait horreur <strong>de</strong> parler.Heureusement le général <strong>de</strong>s frères mineurs se trouvait au nombre <strong>de</strong>s grandspersonnages qui étaient venus faire leur cour à la princesse. Ce moine, fort savant,digne émule <strong>de</strong>s Fontana et <strong>de</strong>s Duvoisin, s'était placé dans un coin reculé du salon:Fabrice prit poste <strong>de</strong>bout <strong>de</strong>vant lui <strong>de</strong> façon à ne point apercevoir la porte d'entrée,et lui parla théologie. Mais il ne put faire que son oreille n'entendît pas annoncer M. le271