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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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j'aurais prononcé le mot fatal: cet enfant. Le fait peut être vrai, j'étais exalté ce jourlà:par exemple, je le voyais un grand homme, parce qu'il n'avait point trop <strong>de</strong> peurau milieu <strong>de</strong>s premiers coups <strong>de</strong> fusil qu'il entendît <strong>de</strong> sa vie. Il ne manque pointd'esprit, il a même un meilleur ton que son père: enfin, je ne saurais trop le répéter,le fond du coeur est honnête et bon; mais ce coeur sincère et jeune se crispe quandon lui raconte un tour <strong>de</strong> fripon, et croit qu'il faut avoir l'âme bien noire soi-mêmepour apercevoir <strong>de</strong> telles choses: songez à l'éducation qu'il a reçue!...- Votre Excellence <strong>de</strong>vait songer qu'un jour il serait le maître, et placer un hommed'esprit auprès <strong>de</strong> lui.- D'abord, nous avons l'exemple <strong>de</strong> l'abbé <strong>de</strong> Condillac, qui, appelé par le marquis <strong>de</strong>Felino, mon prédécesseur, ne fit <strong>de</strong> son élève que le roi <strong>de</strong>s nigauds. Il allait à laprocession, et, en 1796, il ne sut pas traiter avec le général Bonaparte, qui eût triplél'étendue <strong>de</strong> ses états. En second lieu, je n'ai jamais cru rester ministre dix ans <strong>de</strong>suite. Maintenant que je suis désabusé <strong>de</strong> tout, et cela <strong>de</strong>puis un mois, je veux réunirun million, avant <strong>de</strong> laisser à elle-même cette pétaudière que j'ai sauvée. Sans moi,<strong>Parme</strong> eût été république pendant <strong>de</strong>ux mois, avec le poète Ferrante Palla pourdictateur.Ce mot fit rougir la duchesse. Le <strong>com</strong>te ignorait tout.- Nous allons retomber dans la monarchie ordinaire du dix-huitième siècle: leconfesseur et la maîtresse. Au fond, le prince n'aime que la minéralogie, et peut-êtrevous, madame. Depuis qu'il règne, son valet <strong>de</strong> chambre dont je viens <strong>de</strong> faire le frèrecapitaine, ce frère a neuf mois <strong>de</strong> service, ce valet <strong>de</strong> chambre, dis-je, est allé luifourrer dans la tête qu'il doit être plus heureux qu'un autre parce que son profil va setrouver sur les écus. À la suite <strong>de</strong> cette belle idée est arrivé l'ennui.Maintenant il lui faut un ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> camp, remè<strong>de</strong> à l'ennui. Eh bien! quand il m'offriraitce fameux million qui nous est nécessaire pour bien vivre à Naples ou à Paris, je nevoudrais pas être son remè<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'ennui, et passer chaque jour quatre ou cinq heuresavec Son Altesse. D'ailleurs, <strong>com</strong>me j'ai plus d'esprit que lui, au bout d'un mois il meprendrait pour un monstre.Le feu prince était méchant et envieux, mais il avait fait la guerre et <strong>com</strong>mandé <strong>de</strong>scorps d'armée, ce qui lui avait donné <strong>de</strong> la tenue; on trouvait en lui l'étoffe d'unprince, et je pouvais être ministre bon ou mauvais. Avec cet honnête homme <strong>de</strong> filscandi<strong>de</strong> et vraiment bon, je suis forcé d'être un intrigant. Me voici le rival <strong>de</strong> la<strong>de</strong>rnière femmelette du château, et rival fort inférieur, car je mépriserai cent détailsnécessaires. Par exemple, il y a trois jours, une <strong>de</strong> ces femmes qui distribuent lesserviettes blanches tous les matins dans les appartements a eu l'idée <strong>de</strong> faire perdreau prince la clef d'un <strong>de</strong> ses bureaux anglais. Sur quoi Son Altesse a refusé <strong>de</strong>s'occuper <strong>de</strong> toutes les affaires dont les papiers se trouvent dans ce bureau; à la véritépour vingt francs on peut faire détacher les planches qui en forment le fond, ouemployer <strong>de</strong> fausses clefs; mais Ranuce-Ernest V m'a dit que ce serait donner <strong>de</strong>mauvaises habitu<strong>de</strong>s au serrurier <strong>de</strong> la cour.Jusqu'ici il lui a été absolument impossible <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r trois jours <strong>de</strong> suite la mêmevolonté. S'il fût né monsieur le marquis un tel, avec <strong>de</strong> la fortune, ce jeune prince eûtété un <strong>de</strong>s hommes les plus estimables <strong>de</strong> sa cour, une sorte <strong>de</strong> Louis XVI; mais<strong>com</strong>ment, avec sa naïveté pieuse, va-t-il résister à toutes les savantes embûches dontil est entouré? Aussi le salon <strong>de</strong> votre ennemie la Raversi est plus puissant quejamais; on y a découvert que moi, qui ai fait tirer sur le peuple, et qui étais résolu à240

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