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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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est son moindre charme: où trouver ailleurs cette âme toujours sincère, qui jamaisn'agit avec pru<strong>de</strong>nce , qui se livre tout entière à l'impression du moment, qui ne<strong>de</strong>man<strong>de</strong> qu'à être entraînée par quelque objet nouveau? Je conçois les folies du<strong>com</strong>te Nani.Le <strong>com</strong>te se donnait d'excellentes raisons pour être fou, tant qu'il ne songeait qu'àconquérir le bonheur qu'il voyait sous ses yeux. Il n'en trouvait plus d'aussi bonnesquand il venait à considérer son âge et les soucis quelquefois fort tristes quiremplissaient sa vie. Un homme habile à qui la peur ôte l'esprit me donne une gran<strong>de</strong>existence et beaucoup d'argent pour être son ministre; mais que <strong>de</strong>main il merenvoie, je reste vieux et pauvre, c'est-à-dire tout ce qu'il y a au mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> plusméprisé; voilà un aimable personnage à offrir à la <strong>com</strong>tesse! Ces pensées étaient tropnoires, il revint à Mme Pietranera; il ne pouvait se lasser <strong>de</strong> la regar<strong>de</strong>r. et pour mieuxpenser à elle il ne <strong>de</strong>scendait pas dans sa loge. Elle n'avait pris Nani, vient-on <strong>de</strong> medire, que pour faire pièce à cet imbécile <strong>de</strong> Limercati qui ne voulut pas entendre àdonner un coup d'épée ou à faire donner un coup <strong>de</strong> poignard à l'assassin du mari. Jeme battrais vingt fois pour elle! s'écria le <strong>com</strong>te avec transport. À chaque instant ilconsultait l'horloge du théâtre qui par <strong>de</strong>s chiffres éclatants <strong>de</strong> lumière et se détachantsur un fond noir avertit les spectateurs, toutes les cinq minutes, <strong>de</strong> l'heure où il leurest permis d'arriver dans une loge amie. Le <strong>com</strong>te se disait: Je ne saurais passerqu'une <strong>de</strong>mi-heure tout au plus dans sa loge, moi, connaissance <strong>de</strong> si fraîche date; sij'y reste davantage, je m'affiche, et grâce à mon âge et plus encore à ces mauditscheveux poudrés, j'aurai l'air attrayant d'un Cassandre. Mais une réflexion le décidatout à coup: Si elle allait quitter cette loge pour faire une visite, je serais bienré<strong>com</strong>pensé <strong>de</strong> l'avarice avec laquelle je m'économise ce plaisir. Il se levait pour<strong>de</strong>scendre dans la loge où il voyait la <strong>com</strong>tesse; tout à coup il ne se sentit presqueplus d'envie <strong>de</strong> s'y présenter. Ah! voici qui est charmant, s'écria-t-il en riant <strong>de</strong> soimême,et s'arrêtant sur l'escalier; c'est un mouvement <strong>de</strong> timidité véritable! voilà bienvingt-cinq ans que pareille aventure ne m'est arrivée.Il entra dans la loge en faisant presque effort sur lui-même; et, profitant en hommed'esprit <strong>de</strong> l'acci<strong>de</strong>nt qui lui arrivait, il ne chercha point du tout à montrer <strong>de</strong> l'aisanceou à faire <strong>de</strong> l'esprit en se jetant dans quelque récit plaisant; il eut le courage d'êtretimi<strong>de</strong>, il employa son esprit à laisser entrevoir son trouble sans être ridicule. Si elleprend la chose <strong>de</strong> travers, se disait-il, je me perds à jamais. Quoi! timi<strong>de</strong> avec <strong>de</strong>scheveux couverts <strong>de</strong> poudre, et qui sans le secours <strong>de</strong> la poudre paraîtraient gris! Maisenfin la chose est vraie, donc elle ne peut être ridicule que si je l'exagère ou si j'en faistrophée. <strong>La</strong> <strong>com</strong>tesse s'était si souvent ennuyée au château <strong>de</strong> Grianta, vis-à-vis <strong>de</strong>sfigures poudrées <strong>de</strong> son frère, <strong>de</strong> son neveu et <strong>de</strong> quelques ennuyeux bien pensantsdu voisinage, qu'elle ne songea pas à s'occuper <strong>de</strong> la coiffure <strong>de</strong> son nouvel adorateur.L'esprit <strong>de</strong> la <strong>com</strong>tesse ayant un bouclier contre l'éclat <strong>de</strong> rire <strong>de</strong> l'entrée, elle ne futattentive qu'aux nouvelles <strong>de</strong> France que Mosca avait toujours à lui donner enparticulier, en arrivant dans la loge; sans doute il inventait. En les discutant avec lui,elle remarqua ce soir-là son regard, qui était beau et bienveillant- Je m'imagine, lui dit-elle, qu'à <strong>Parme</strong> au milieu <strong>de</strong> vos esclaves, vous n'allez pasavoir ce regard aimable, cela gâterait tout et leur donnerait quelque espoir <strong>de</strong> n'êtrepas pendus.L'absence totale d'importance chez un homme qui passait pour le premier diplomate<strong>de</strong> l'Italie parut singulière à la <strong>com</strong>tesse; elle trouva même qu'il avait <strong>de</strong> la grâce.Enfin, <strong>com</strong>me il parlait bien et avec feu, elle ne fut point choquée qu'il eût jugé àpropos <strong>de</strong> prendre pour une soirée, et sans conséquence, le rôle d'attentif.59

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