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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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- Quel maréchal?- Le maréchal Ney, bêta! Ah çà! où as-tu servi jusqu'ici?Fabrice, quoique fort susceptible, ne songea point à se fâcher <strong>de</strong> l'injure; ilcontemplait, perdu dans une admiration enfantine, ce fameux prince <strong>de</strong> la Moskova, lebrave <strong>de</strong>s braves.Tout à coup on partit au grand galop. Quelques instants après, Fabrice vit, à vingt pasen avant, une terre labourée qui était remuée d'une façon singulière. Le fond <strong>de</strong>ssillons était plein d'eau, et la terre fort humi<strong>de</strong>, qui formait la crête <strong>de</strong> ces sillons,volait en petits fragments noirs lancés à trois ou quatre pieds <strong>de</strong> haut. Fabriceremarqua en passant cet effet singulier; puis sa pensée se remit à songer à la gloiredu maréchal. Il entendit un cri sec auprès <strong>de</strong> lui: c'étaient <strong>de</strong>ux hussards quitombaient atteints par <strong>de</strong>s boulets; et, lorsqu'il les regarda, ils étaient déjà à vingt pas<strong>de</strong> l'escorte. Ce qui lui sembla horrible, ce fut un cheval tout sanglant qui se débattaitsur la terre labourée, en engageant ses pieds dans ses propres entrailles; il voulaitsuivre les autres: le sang coulait dans la boue.Ah! m'y voilà donc enfin au feu! se dit-il. J'ai vu le feu! se répétait-il avec satisfaction.Me voici un vrai militaire. À ce moment, l'escorte allait ventre à terre, et notre héros<strong>com</strong>prit que c'étaient <strong>de</strong>s boulets qui faisaient voler la terre <strong>de</strong> toutes parts. Il avaitbeau regar<strong>de</strong>r du côté d'où venaient les boulets, il voyait la fumée blanche <strong>de</strong> labatterie à une distance énorme, et, au milieu du ronflement égal et continu produitpar les coups <strong>de</strong> canon, il lui semblait entendre <strong>de</strong>s décharges beaucoup plus voisines;il n'y <strong>com</strong>prenait rien du tout.À ce moment, les généraux et l'escorte <strong>de</strong>scendirent dans un petit chemin plein d'eau,qui était à cinq pieds en contre-bas.Le maréchal s'arrêta, et regarda <strong>de</strong> nouveau avec sa lorgnette. Fabrice, cette fois, putle voir tout à son aise; il le trouva très blond, avec une grosse tête rouge. Nousn'avons point <strong>de</strong>s figures <strong>com</strong>me celle-là en Italie, se dit-il. Jamais, moi qui suis sipâle et qui ai <strong>de</strong>s cheveux châtains, je ne serai <strong>com</strong>me ça, ajoutait-il avec tristesse.Pour lui ces paroles voulaient dire: Jamais je ne serai un héros. Il regarda leshussards; à l'exception d'un seul, tous avaient <strong>de</strong>s moustaches jaunes. Si Fabriceregardait les hussards <strong>de</strong> l'escorte, tous le regardaient aussi. Ce regard le fit rougir,et, pour finir son embarras, il tourna la tête vers l'ennemi. C'étaient <strong>de</strong>s lignes fortétendues d'hommes rouges; mais, ce qui l'étonna fort, ces hommes lui semblaienttout petits. Leurs longues files, qui étaient <strong>de</strong>s régiments ou <strong>de</strong>s divisions, ne luiparaissaient pas plus hautes que <strong>de</strong>s haies. Une ligne <strong>de</strong> cavaliers rouges trottait pourse rapprocher du chemin en contre-bas que le maréchal et l'escorte s'étaient mis àsuivre au petit pas, pataugeant dans la boue. <strong>La</strong> fumée empêchait <strong>de</strong> rien distinguerdu côté vers lequel on s'avançait; l'on voyait quelquefois <strong>de</strong>s hommes au galop sedétacher sur cette fumée blanche.Tout à coup, du côté <strong>de</strong> l'ennemi, Fabrice vit quatre hommes qui arrivaient ventre àterre. Ah! nous sommes attaqués, se dit-il; puis il vit <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ces hommes parler aumaréchal. Un <strong>de</strong>s généraux <strong>de</strong> la suite <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier partit au galop du côté <strong>de</strong>l'ennemi, suivi <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux hussards <strong>de</strong> l'escorte et <strong>de</strong>s quatre hommes qui venaientd'arriver. Après un petit canal que tout le mon<strong>de</strong> passa, Fabrice se trouva à côté d'unmaréchal <strong>de</strong>s logis qui avait l'air fort bon enfant. Il faut que je parle à celui-là, se ditil,peut-être ils cesseront <strong>de</strong> me regar<strong>de</strong>r. Il médita longtemps.25

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