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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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Fabrice se hâta d'enlever ces caractères chéris qui pouvaient <strong>com</strong>promettre Clélia, et<strong>de</strong> déchirer un grand nombre <strong>de</strong> feuillets du bréviaire, à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>squels il fit plusieursalphabets; chaque lettre était proprement tracée avec du charbon écrasé délayé dansdu vin. Ces alphabets se trouvèrent secs lorsqu'à onze heures trois quarts Clélia parutà <strong>de</strong>ux pas en arrière <strong>de</strong> la fenêtre <strong>de</strong> la volière. <strong>La</strong> gran<strong>de</strong> affaire maintenant, se ditFabrice, c'est qu'elle consente à en faire usage. Mais, par bonheur, il se trouva qu'elleavait beaucoup <strong>de</strong> choses à dire au jeune prisonnier sur la tentatived'empoisonnement: un chien <strong>de</strong>s filles <strong>de</strong> service était mort pour avoir mangé un platqui lui était <strong>de</strong>stiné. Clélia, bien loin <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s objections contre l'usage <strong>de</strong>salphabets, en avait préparé un magnifique avec <strong>de</strong> l'encre. <strong>La</strong> conversation suivie parce moyen, assez in<strong>com</strong>mo<strong>de</strong> dans les premiers moments, ne dura pas moins d'uneheure et <strong>de</strong>mie, c'est-à-dire tout le temps que Clélia put rester à la volière. Deux outrois fois, Fabrice se permettant <strong>de</strong>s choses défendues, elle ne répondit pas, et allapendant un instant donner à ses oiseaux les soins nécessaires.Fabrice avait obtenu que, le soir, en lui envoyant <strong>de</strong> l'eau, elle lui ferait parvenir un<strong>de</strong>s alphabets tracés par elle avec <strong>de</strong> l'encre, et qui se voyait beaucoup mieux. Il nemanqua pas d'écrire une fort longue lettre dans laquelle il eut soin <strong>de</strong> ne point placer<strong>de</strong> choses tendres, du moins d'une façon qui pût offenser. Ce moyen lui réussit; salettre fut acceptée.Le len<strong>de</strong>main, dans la conversation par les alphabets, Clélia ne lui fit pas <strong>de</strong>reproches; elle lui apprit que le danger du poison diminuait; le Barbone avait étéattaqué et presque assommé par les gens qui faisaient la cour aux filles <strong>de</strong> cuisine dupalais du gouverneur, probablement il n'oserait plus reparaître dans les cuisines. Clélialui avoua que, pour lui, elle avait osé voler du contre-poison à son père; elle le luienvoyait: l'essentiel était <strong>de</strong> repousser à l'instant tout aliment auquel on trouveraitune saveur extraordinaire.Clélia avait fait beaucoup <strong>de</strong> questions à don Cesare, sans pouvoir découvrir d'oùprovenaient les six cents sequins reçus par Fabrice; dans tous les cas, c'était un signeexcellent; la sévérité diminuait.Cet épiso<strong>de</strong> du poison avança infiniment les affaires <strong>de</strong> notre prisonnier; toutefoisjamais il ne put obtenir le moindre aveu qui ressemblât à <strong>de</strong> l'amour, mais il avait lebonheur <strong>de</strong> vivre <strong>de</strong> la manière la plus intime avec Clélia. Tous les matins, et souventles soirs, il y avait une longue conversation avec les alphabets; chaque soir, à neufheures, Clélia acceptait une longue lettre, et quelquefois y répondait par quelquesmots; elle lui envoyait le journal et quelques livres; enfin, Grillo avait été amadoué aupoint d'apporter à Fabrice du pain et du vin, qui lui étaient remis journellement par lafemme <strong>de</strong> chambre <strong>de</strong> Clélia. Le geôlier Grillo en avait conclu que le gouverneurn'était pas d'accord avec les gens qui avaient chargé Barbone d'empoisonner le jeuneMonsignore, et il en était fort aise, ainsi que tous ses camara<strong>de</strong>s, car un proverbes'était établi dans la prison: il suffit <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r en face monsignore <strong>de</strong>l Dongo pourqu'il vous donne <strong>de</strong> l'argent.Fabrice était <strong>de</strong>venu fort pâle; le manque absolu d'exercice nuisait à sa santé; à celaprès, jamais il n'avait été aussi heureux. Le ton <strong>de</strong> la conversation était intime, etquelquefois fort gai, entre Clélia et lui. Les seuls moments <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> Clélia qui nefussent pas assiégés <strong>de</strong> prévisions funestes et <strong>de</strong> remords étaient ceux qu'elle passaità s'entretenir avec lui. Un jour elle eut l'impru<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> lui dire:-J'admire votre délicatesse; <strong>com</strong>me je suis la fille du gouverneur, vous ne me parlezjamais du désir <strong>de</strong> recouvrer la liberté!192

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