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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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pour moi. Moi aussi je dois sortir <strong>de</strong> l'état <strong>de</strong> torpeur où je languis dans ce triste etfroid château. Ne trouves-tu pas que ces vieux murs noircis, symboles maintenant etautrefois moyens du <strong>de</strong>spotisme, sont une véritable image du triste hiver? ils sontpour moi ce que l'hiver est pour mon arbre.Le croirais-tu, Gina? hier soir à sept heures et <strong>de</strong>mie j'arrivais à mon marronnier; ilavait <strong>de</strong>s feuilles, <strong>de</strong> jolies petites feuilles déjà assez gran<strong>de</strong>s! Je les baisai sans leurfaire <strong>de</strong> mal. J'ai bêché la terre avec respect à l'entour <strong>de</strong> l'arbre chéri. Aussitôt,rempli d'un transport nouveau, j'ai traversé la montagne; je suis arrivé à Menagio: ilme fallait un passeport pour entrer en Suisse. Le temps avait volé, il était déjà uneheure du matin quand je me suis vu à la porte <strong>de</strong> Vasi. Je pensais <strong>de</strong>voir frapperlongtemps pour le réveiller; mais il était <strong>de</strong>bout avec trois <strong>de</strong> ses amis. À mon premiermot: " Tu vas rejoindre Napoléon! " s'est-il écrié, et il m'a sauté au cou. Les autresaussi m'ont embrassé avec transport. " Pourquoi suis-je marié! " disait l'un d'eux.Madame Pietranera était <strong>de</strong>venue pensive; elle crut <strong>de</strong>voir présenter quelquesobjections. Si Fabrice eût eu la moindre expérience, il eût bien vu que la <strong>com</strong>tesseelle-même ne croyait pas aux bonnes raisons qu'elle se hâtait <strong>de</strong> lui donner. Mais, àdéfaut d'expérience, il avait <strong>de</strong> la résolution; il ne daigna pas même écouter cesraisons. <strong>La</strong> <strong>com</strong>tesse se réduisit bientôt à obtenir <strong>de</strong> lui que du moins il fît part <strong>de</strong> sonprojet à sa mère.- Elle le dira à mes soeurs, et ces femmes me trahiront à leur insu! s'écria Fabriceavec une sorte <strong>de</strong> hauteur héroïque.- Parlez donc avec plus <strong>de</strong> respect, dit la <strong>com</strong>tesse souriant au milieu <strong>de</strong> ses larmes,du sexe qui fera votre fortune; car vous déplairez toujours aux hommes, vous aveztrop <strong>de</strong> feu pour les âmes prosaïques.<strong>La</strong> marquise fondit en larmes en apprenant l'étrange projet <strong>de</strong> son fils; elle n'ensentait pas l'héroïsme, et fit tout son possible pour le retenir. Quand elle futconvaincue que rien au mon<strong>de</strong>, excepté les murs d'une prison, ne pourrait l'empêcher<strong>de</strong> partir elle lui remit le peu d'argent qu'elle possédait; puis elle se souvint qu'elleavait <strong>de</strong>puis la veille huit ou dix petits diamants valant peut-être dix mille francs, quele marquis lui avait confiés pour les faire monter à Milan. Les soeurs <strong>de</strong> Fabriceentrèrent chez leur mère tandis que la <strong>com</strong>tesse cousait ces diamants dans l'habit <strong>de</strong>voyage <strong>de</strong> notre héros; il rendait à ces pauvres femmes leurs chétifs napoléons. Sessoeurs furent tellement enthousiasmées <strong>de</strong> son projet, elles l'embrassaient avec unejoie si bruyante qu'il prit à la main quelques diamants qui restaient encore à cacher, etvoulut partir sur-le-champ.- Vous me trahiriez à votre insu, dit-il à ses soeurs. Puisque j'ai tant d'argent, il estinutile d'emporter <strong>de</strong>s har<strong>de</strong>s; on en trouve partout. Il embrassa ces personnes qui luiétaient si chères, et partit à l'instant même sans vouloir rentrer dans sa chambre. Ilmarcha si vite, craignant toujours d'être poursuivi par <strong>de</strong>s gens à cheval, que le soirmême il entrait à Lugano. Grâce à Dieu, il était dans une ville suisse, et ne craignaitplus d'être violenté sur la route solitaire par <strong>de</strong>s gendarmes payés par son père. De celieu, il lui écrivit une belle lettre, faiblesse d'enfant qui donna <strong>de</strong> la consistance à lacolère du marquis. Fabrice prit la poste, passa le Saint-Gothard; son voyage futrapi<strong>de</strong>, et il entra en France par Pontarlier. L'Empereur était à Paris. Là <strong>com</strong>mencèrentles malheurs <strong>de</strong> Fabrice; il était parti dans la ferme intention <strong>de</strong> parler à l'Empereur:jamais il ne lui était venu à l'esprit que ce fût chose difficile. À Milan, dix fois par jour ilvoyait le prince Eugène et eût pu lui adresser la parole. À Paris, tous les matins, ilallait dans la cour du château <strong>de</strong>s Tuileries assister aux revues passées par Napoléon;16

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