11.07.2015 Views

La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Fabrice sortait du bureau escorté par trois gendarmes; on le conduisait à la chambrequ'on lui avait <strong>de</strong>stinée: Clélia regardait par la portière, le prisonnier était fort prèsd'elle. En ce moment elle répondit à la question <strong>de</strong> son père par ces mots: Je voussuivrai. Fabrice, entendant prononcer ces paroles tout près <strong>de</strong> lui, leva les yeux etrencontra le regard <strong>de</strong> la jeune fille. Il fut frappé surtout <strong>de</strong> l'expression <strong>de</strong> mélancolie<strong>de</strong> sa figure. Comme elle est embellie, pensa-t-il, <strong>de</strong>puis notre rencontre près <strong>de</strong>Côme! quelle expression <strong>de</strong> pensée profon<strong>de</strong>!... On a raison <strong>de</strong> la <strong>com</strong>parer à laduchesse, quelle physionomie angélique! Barbone, le <strong>com</strong>mis sanglant, qui ne s'étaitpas placé près <strong>de</strong> la voiture sans intention, arrêta d'un geste les trois gendarmes quiconduisaient Fabrice, et, faisant le tour <strong>de</strong> la voiture par <strong>de</strong>rrière, pour arriver à laportière près <strong>de</strong> laquelle était le général:-Comme le prisonnier a fait acte <strong>de</strong> violence dans l'intérieur <strong>de</strong> la cita<strong>de</strong>lle, lui dit-il, envertu <strong>de</strong> l'article 157 du règlement, n'y aurait-il pas lieu <strong>de</strong> lui appliquer les menottespour trois jours?- Allez au diable! s'écria le général, que cette arrestation ne laissait pasd'embarrasser. Il s'agissait pour lui <strong>de</strong> ne pousser à bout ni la duchesse ni le <strong>com</strong>teMosca: et d'ailleurs, dans quel sens le <strong>com</strong>te allait-il prendre cette affaire? au fond, lemeurtre d'un Giletti était une bagatelle, et l'intrigue seule était parvenue à en fairequelque chose.Durant ce court dialogue, Fabrice était superbe au milieu <strong>de</strong> ces gendarmes, c'étaitbien la mine la plus fière et la plus noble; ses traits fins et délicats, et le sourire <strong>de</strong>mépris qui errait sur ses lèvres, faisaient un charmant contraste avec les apparencesgrossières <strong>de</strong>s gendarmes qui l'entouraient. Mais tout cela ne formait pour ainsi direque la partie extérieure <strong>de</strong> sa physionomie; il était ravi <strong>de</strong> la céleste beauté <strong>de</strong> Clélia,et son oeil trahissait toute sa surprise. Elle, profondément pensive, n'avait pas songé àretirer la tête <strong>de</strong> la portière; il la salua avec le <strong>de</strong>mi-sourire le plus respectueux; puis,après un instant:- Il me semble, ma<strong>de</strong>moiselle, lui dit-il, qu'autrefois, près d'un lac, j'ai déjà eul'honneur <strong>de</strong> vous rencontrer avec ac<strong>com</strong>pagnement <strong>de</strong> gendarmes.Clélia rougit et fut tellement interdite qu'elle ne trouva aucune parole pour répondre.Quel air noble au milieu <strong>de</strong> ces êtres grossiers! se disait-elle au moment où Fabrice luiadressa la parole. <strong>La</strong> profon<strong>de</strong> pitié, et nous dirons presque l'attendrissement où elleétait plongée, lui ôtèrent la présence d'esprit nécessaire pour trouver un motquelconque, elle s'aperçut <strong>de</strong> son silence et rougit encore davantage. En ce momenton tirait avec violence les verrous <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> porte <strong>de</strong> la cita<strong>de</strong>lle, la voiture <strong>de</strong> SonExcellence n'attendait-elle pas <strong>de</strong>puis une minute au moins? Le bruit fut si violent souscette voûte, que, quand même Clélia aurait trouvé quelque mot pour répondre,Fabrice n'aurait pu entendre ses paroles.Emportée par les chevaux qui avaient pris le galop aussitôt après le pont-levis, Cléliase disait: Il m'aura trouvée bien ridicule! Puis tout à coup elle ajouta: non passeulement ridicule; il aura cru voir en moi une âme basse, il aura pensé que je nerépondais pas à son salut parce qu'il est prisonnier et moi fille du gouverneur.Cette idée fut du désespoir pour cette jeune fille qui avait l'âme élevée. Ce qui rendmon procédé tout à fait avilissant, ajouta-t-elle, c'est que jadis, quand nous nousrencontrâmes pour la première fois, aussi avec ac<strong>com</strong>pagnement <strong>de</strong> gendarmes,<strong>com</strong>me il le dit, c'était moi qui me trouvais prisonnière, et lui me rendait service et me152

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!