11.07.2015 Views

La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

l'histoire. Le chevalier Foscarini, après avoir été vingt ans l'ami <strong>de</strong> la mère du marquis,était resté l'homme influent dans la maison. Il avait toujours quelque conte plaisant àfaire, mais rien n'échappait à sa finesse, et la jeune marquise, qui se sentait coupableau fond du coeur, tremblait <strong>de</strong>vant lui.Comme Gonzo avait une véritable passion pour le grand seigneur, qui lui disait <strong>de</strong>sgrossièretés et le faisait pleurer une ou <strong>de</strong>ux fois par an, sa manie était <strong>de</strong> chercher àlui rendre <strong>de</strong> petits services; et, s'il n'eût été paralysé par les habitu<strong>de</strong>s d'une extrêmepauvreté, il eût pu réussir quelquefois, car il n'était pas sans une certaine dose <strong>de</strong>finesse et une beaucoup plus gran<strong>de</strong> d'effronterie.Le Gonzo, tel que nous le connaissons, méprisait assez la marquise Crescenzi, car <strong>de</strong>sa vie elle ne lui avait adressé une parole peu polie; mais enfin elle était la femme <strong>de</strong>ce fameux marquis Crescenzi, chevalier d'honneur <strong>de</strong> la princesse, et qui, une fois ou<strong>de</strong>ux par mois, disait à Gonzo:- Tais-toi, Gonzo, tu n'es qu'une bête.Le Gonzo remarqua que tout ce qu'on disait <strong>de</strong> la petite Anetta Marini faisait sortir lamarquise, pour un instant, <strong>de</strong> l'état <strong>de</strong> rêverie et d'incurie où elle restaithabituellement plongée jusqu'au moment où onze heures sonnaient, alors elle faisaitle thé, et en offrait à chaque homme présent, en l'appelant par son nom. Après quoi,au moment <strong>de</strong> rentrer chez elle, elle semblait trouver un moment <strong>de</strong> gaieté, c'étaitl'instant qu'on choisissait pour lui réciter les sonnets satiriques.On en fait d'excellents en Italie: c'est le seul genre <strong>de</strong> littérature qui ait encore un peu<strong>de</strong> vie; à la vérité il n'est pas soumis à la censure, et les courtisans <strong>de</strong> la casaCrescenzi annonçaient toujours leur sonnet par ces mots: Madame la marquise veutellepermettre que l'on récite <strong>de</strong>vant elle un bien mauvais sonnet? et quand le sonnetavait fait rire et avait été répété <strong>de</strong>ux ou trois fois, l'un <strong>de</strong>s officiers ne manquait pas<strong>de</strong> s'écrier: M. le ministre <strong>de</strong> la police <strong>de</strong>vrait bien s'occuper <strong>de</strong> faire un peu pendre lesauteurs <strong>de</strong> telles infamies. Les sociétés bourgeoises, au contraire, accueillent cessonnets avec l'admiration la plus franche, et les clercs <strong>de</strong> procureurs en ven<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>scopies.D'après la sorte <strong>de</strong> curiosité montrée par la marquise, Gonzo se figura qu'on avait tropvanté <strong>de</strong>vant elle la beauté <strong>de</strong> la petite Marini qui d'ailleurs avait un million <strong>de</strong> fortune,et qu'elle en était jalouse. Comme avec son sourire continu et son effronterie <strong>com</strong>plèteenvers tout ce qui n'était pas noble, Gonzo pénétrait partout, dès le len<strong>de</strong>main il arrivadans le salon <strong>de</strong> la marquise, portant son chapeau à plumes d'une certaine façontriomphante et qu'on ne lui voyait guère qu'une fois ou <strong>de</strong>ux chaque année lorsque leprince lui avait dit: Adieu Gonzo.Après avoir salué respectueusement la marquise, Gonzo ne s'éloigna point <strong>com</strong>me <strong>de</strong>coutume pour aller prendre place sur le fauteuil qu'on venait <strong>de</strong> lui avancer. Il se plaçaau milieu du cercle, et s'écria brutalement: - J'ai vu le portrait <strong>de</strong> monseigneur <strong>de</strong>lDongo. Clélia fut tellement surprise qu'elle fut obligée <strong>de</strong> s'appuyer sur le bras <strong>de</strong> sonfauteuil; elle essaya <strong>de</strong> faire tête à l'orage, mais bientôt fut obligée <strong>de</strong> déserter lesalon.- Il faut convenir, mon pauvre Gonzo, que vous êtes d'une maladresse rare, s'écriaavec hauteur l'un <strong>de</strong>s officiers qui finissait sa quatrième glace. Comment ne savezvouspas que le coadjuteur, qui a été l'un <strong>de</strong>s plus braves colonels <strong>de</strong> l'armée <strong>de</strong>Napoléon, a joué jadis un tour pendable au père <strong>de</strong> la marquise, en sortant <strong>de</strong> la285

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!