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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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dans l'escalier, et, arrivé sur la place, se mit à courir. Il était à peine arrivé <strong>de</strong>vant lechâteau <strong>de</strong> son père, que la cloche sonna dix heures; chaque coup retentissait dans sapoitrine et y portait un trouble singulier. Il s'arrêta pour réfléchir, ou plutôt pour selivrer aux sentiments passionnés que lui inspirait la contemplation <strong>de</strong> cet édificemajestueux qu'il jugeait si froi<strong>de</strong>ment la veille. Au milieu <strong>de</strong> sa rêverie, <strong>de</strong>s pasd'homme vinrent le réveiller; il regarda et se vit au milieu <strong>de</strong> quatre gendarmes. Ilavait <strong>de</strong>ux excellents pistolets dont il venait <strong>de</strong> renouveler les amorces en dînant, lepetit bruit qu'il fit en les armant attira l'attention d'un <strong>de</strong>s gendarmes, et fut sur lepoint <strong>de</strong> le faire arrêter. Il s'aperçut du danger qu'il courait et pensa à faire feu lepremier; c'était son droit, car c'était la seule manière qu'il eût <strong>de</strong> résister à quatrehommes bien armés. Par bonheur les gendarmes, qui circulaient pour faire évacuer lescabarets, ne s'étaient point montrés tout à fait insensibles aux politesses qu'ils avaientreçues dans plusieurs <strong>de</strong> ces lieux aimables; ils ne se décidèrent pas assez rapi<strong>de</strong>mentà faire leur <strong>de</strong>voir. Fabrice prit la fuite en courant à toutes jambes. Les gendarmesfirent quelques pas en courant aussi et criant: Arrête! arrête! puis tout rentra dans lesilence. À trois cents pas <strong>de</strong> là, Fabrice s'arrêta pour reprendre haleine. Le bruit <strong>de</strong>mes pistolets a failli me faire prendre; c'est bien pour le coup que la duchesse m'eûtdit, si jamais il m'eût été donné <strong>de</strong> revoir ses beaux yeux, que mon âme trouve duplaisir à contempler ce qui arrivera dans dix ans, et oublie <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r ce qui se passeactuellement à mes côtés.Fabrice frémit en pensant au danger qu'il venait d'éviter; il doubla le pas, mais bientôtil ne put s'empêcher <strong>de</strong> courir, ce qui n'était pas trop pru<strong>de</strong>nt, car il se fit remarquer<strong>de</strong> plusieurs paysans qui regagnaient leur logis. Il ne put prendre sur lui <strong>de</strong> s'arrêterque dans la montagne, à plus d'une lieue <strong>de</strong> Grianta et, même arrêté, il eut une sueurfroi<strong>de</strong> en pensant au Spielberg.Voilà une belle peur! se dit-il: en entendant le son <strong>de</strong> ce mot, il fut presque tentéd'avoir honte. Mais ma tante ne me dit-elle pas que la chose dont j'ai le plus besoinc'est d'apprendre à me pardonner? Je me <strong>com</strong>pare toujours à un modèle parfait, et quine peut exister. Eh bien! je me pardonne ma peur, car, d'un autre côté, j'étais biendisposé à défendre ma liberté, et certainement tous les quatre ne seraient pas restés<strong>de</strong>bout pour me conduire en prison. Ce que je fais en ce moment, ajouta-t-il, n'est pasmilitaire; au lieu <strong>de</strong> me retirer rapi<strong>de</strong>ment, après avoir rempli mon objet, et peut-êtredonné l'éveil à mes ennemis, je m'amuse à une fantaisie plus ridicule peut-être quetoutes les prédictions du bon abbé.En effet, au lieu <strong>de</strong> se retirer par la ligne la plus courte, et <strong>de</strong> gagner les bords du lacMajeur, où sa barque l'attendait, il faisait un énorme détour pour aller voir son arbre.Le lecteur se souvient peut-être <strong>de</strong> l'amour que Fabrice portait à un marronnier plantépar sa mère vingt-trois ans auparavant. Il serait digne <strong>de</strong> mon frère, se dit-il, d'avoirfait couper cet arbre; mais ces êtres-là ne sentent pas les choses délicates; il n'y aurapas songé. Et d'ailleurs, ce ne serait pas d'un mauvais augure, ajouta-t-il avecfermeté. Deux heures plus tard son regard fut consterné; <strong>de</strong>s méchants ou un orageavaient rompu l'une <strong>de</strong>s principales branches du jeune arbre, qui pendait <strong>de</strong>sséchée;Fabrice la coupa avec respect, à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> son poignard, et tailla bien net la coupure,afin que l'eau ne pût pas s'introduire dans le tronc. Ensuite, quoique le temps fût bienprécieux pour lui, car le jour allait paraître, il passa une bonne heure à bêcher la terreautour <strong>de</strong> l'arbre chéri. Toutes ces folies ac<strong>com</strong>plies, il reprit rapi<strong>de</strong>ment la route dulac Majeur. Au total, il n'était point triste, l'arbre était d'une belle venue, plusvigoureux que jamais, et, en cinq ans, il avait presque doublé. <strong>La</strong> branche n'étaitqu'un acci<strong>de</strong>nt sans conséquence; une fois coupée, elle ne nuisait plus à l'arbre, etmême il serait plus élancé, sa membrure <strong>com</strong>mençant plus haut.97

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